Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/239

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considéré, elle était bien meilleure, bien plus éclairée, beaucoup plus soucieuse du bien-être du peuple, que l’administration de toute autre province russe. Mais c’était une administration — une branche de l’arbre qui a ses racines à Pétersbourg — et c’était assez pour paralyser les meilleures intentions et pour étouffer dans le germe, par sa seule intervention toute vie locale et tout progrès. On regardait avec défiance tout ce que des personnalités locales faisaient pour le bien du pays, et on leur suscitait des montagnes de difficultés, non pas tant à cause des mauvaises intentions des administrateurs, mais uniquement parce que ces fonctionnaires appartenaient à une administration pyramidale, centralisée. Le seul fait d’appartenir à un gouvernement qui rayonnait tout autour d’une lointaine capitale, les portait à voir tout en fonctionnaires, qui se demandent d’abord ce que diront leurs supérieurs et quelle place tiendra telle ou telle chose dans la machine administrative. Les intérêts du pays sont alors secondaires.

Peu à peu je tournai toute mon énergie vers les explorations scientifiques. En 1865 j’explorai le Sayan occidental, ce qui me permit de mieux comprendre la structure des hautes terres sibériennes et de découvrir une importante région volcanique sur la frontière chinoise. Enfin, l’année suivante, j’entrepris un long voyage pour trouver une communication directe entre les mines d’or de la province de Yakoutsk (sur le Vitim et l’Olokma) et la Transbaïkalie. Pendant plusieurs années les membres de l’expédition sibérienne (1860-1864) avaient essayé de trouver ce passage et avaient tenté de traverser la série des chaînes parallèles, sauvages et rocailleuses, qui séparent ces mines des plaines de la Transbaïkalie. Mais lorsqu’ils eurent atteint, en venant du sud, cette région montagneuse désolée, et qu’ils eurent vu devant eux ces montagnes arides s’étendre vers le nord sur des centaines de kilomètres, tous ces explorateurs, sauf un qui fut tué par les naturels, revinrent vers le sud. Il était évident que pour réussir l’expédition devait