Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/272

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l’exemple du chef de famille. Les orgies que l’un d’eux organisait dans un restaurant de la Perspective Nevsky étaient si ignobles qu’une nuit le chef de la police dut intervenir et il prévint le propriétaire du restaurant qu’il serait envoyé en Sibérie s’il louait de nouveau au grand-duc son « cabinet du grand-duc. » « Imaginez ma perplexité, » disait un jour cet homme en me montrant cette salle dont les murs et le plafond étaient revêtus d’épais coussins de satin. « D’un côté je devais offenser un membre de la famille impériale qui pouvait faire de moi ce qu’il voulait, et d’autre part le général Trépov me menaçait de la Sibérie ! Naturellement j’obéis au général : il est, comme vous savez, tout-puissant aujourd’hui. » Un autre grand-duc devint fameux pour ses manières relevant de l’aliénation mentale ; et un troisième, qui vola les diamants de sa mère, fut exilé au Turkestan.

L’impératrice Marie Alexandrovna, délaissée par son mari, et probablement terrifiée par la tournure que prenait la vie de Cour, devint de plus en plus dévote, et bientôt elle était entièrement entre les mains du prêtre du Palais, un représentant d’un type tout nouveau dans l’Église russe — le jésuite. Ce nouveau genre de clergé, bien peigné, dépravé et jésuitique, fit à cette époque de rapides progrès ; déjà il travaillait assidûment et avec succès à devenir un État dans l’État et à mettre la main sur les écoles.

On a démontré mainte et mainte fois qu’en Russie le clergé de village est tellement absorbé par ses fonctions, tellement occupé à baptiser, à marier, à donner la communion aux mourants, qu’il ne put consacrer son temps aux écoles. Même lorsque le prêtre est payé pour donner l’instruction religieuse dans un village, il la passe ordinairement à un autre, parce qu’il n’a pas le temps de la donner lui-même. Cependant le haut clergé exploitant la haine d’Alexandre II contre l’« esprit révolutionnaire », commençait sa campagne qui devait aboutir à la main mise sur les écoles. La devise du haut clergé fut : « Pas d’autres écoles que les écoles cléricales. »