Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/273

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La Russie entière réclamait l’instruction, mais même cette somme ridiculement minime de deux millions de roubles, inscrite chaque année au budget de l’État pour les écoles primaires, n’était pas dépensée par le Ministère de l’Instruction publique ; si bien qu’on finit par la donner presque entièrement au Synode pour l’aider à fonder des écoles placées sous la direction du clergé de campagne — écoles dont la plupart n’existaient et n’existent encore que sur le papier.

La Russie tout entière demandait l’enseignement technique, mais le ministre n’ouvrait que des gymnases classiques, parce qu’on considérait un cours formidable de latin et de grec comme le meilleur moyen d’empêcher les élèves de lire et de penser. Dans ces gymnases deux ou trois pour cent seulement des élèves réussissaient à aller jusqu’au bout de leurs huit années de cours, car tous les jeunes gens qui promettaient de devenir quelque chose étaient soigneusement écartés avant de pouvoir atteindre la dernière classe, et l’on prenait toute sorte de mesures pour réduire le nombre des élèves. L’éducation était considérée comme une sorte de luxe, réservé à un petit nombre. En même temps, le Ministère de l’Instruction publique était engagé dans une lutte continuelle et passionnée contre tous les particuliers et toutes les institutions — conseils de district et de province, municipalités, etc., — qui s’efforçaient d’ouvrir des écoles normales ou des écoles professionnelles, ou même de simples écoles primaires. L’enseignement technique — dans un pays qui manquait à ce point d’ingénieurs, d’agronomes et de géologues — était considéré comme une chose révolutionnaire. Cet enseignement était prohibé, persécuté, tant et si bien qu’aujourd’hui encore, chaque année, à l’automne, on refuse, faute de place, l’entrée des hautes écoles professionnelles à deux ou trois mille jeunes gens. Un sentiment de désespoir s’emparait de tous ceux qui voulaient se rendre utiles dans la vie publique, au moment même où on accumulait les ruines dans les campagnes, en exigeant du paysan des