Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/274

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impôts exagérés, en lui arrachant les arrérages des impôts à l’aide d’exécutions militaires qui le ruinaient à tout jamais. Les gouverneurs de province qui faisaient rentrer ces impôts par les moyens les plus rigoureux étaient seuls en faveur dans la capitale.

Voilà quel était le Pétersbourg officiel. Voilà l’influence qu’il exerçait sur la Russie.

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En quittant la Sibérie, nous nous entretenions souvent, mon frère et moi, de la vie intellectuelle que nous trouverions à Pétersbourg et des connaissances intéressantes que nous ferions dans les cercles littéraires. Nous fîmes en effet quelques-unes de ces connaissances, tant dans le parti radical que parmi les slavophiles modérés ; mais je dois avouer que nous fûmes désappointés. Nous trouvâmes une foule d’hommes excellents, — la Russie abonde en hommes excellents — mais ils ne répondaient nullement à l’idéal que nous nous faisions de l’écrivain politique. Les meilleurs écrivains — Tchernychevsky, Mikhailov, Lavrov — étaient en exil, ou étaient enfermés, comme Pisarev, dans la forteresse de Saint-Pierre et de Saint-Paul. D’autres, voyant la situation sous de sombres couleurs, avaient changé d’opinions et inclinaient à une sorte d’absolutisme paternel ; tandis que le plus grand nombre, tout en restant encore fidèles à leurs idées, mettaient tant de prudence à les exprimer que leur circonspection ressemblait presque à une trahison.

A l’époque où le mouvement réformiste était dans tout son éclat, la plupart des membres des cercles littéraires avancés avaient été en relation soit avec Herzen, soit avec Tourguénev et ses amis, soit avec les sociétés secrètes, « Grande-Russie » ou « Pays et Liberté », qui eurent durant cette période une existence éphémère. Maintenant, ces mêmes hommes étaient surtout préoccupés d’enterrer leurs sympathies anciennes aussi profondément que possible, afin de se mettre à l’abri de tout soupçon d’ordre politique.