Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/311

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tout radieux à mon entrée dans sa cabane. — « Savez-vous que Pindy est encore vivant ! Voici une lettre de lui ; il est en Suisse, » s’écria-t-il. Personne n’avait entendu parler de Pindy depuis qu’on l’avait vu pour la dernière fois aux Tuileries, le 25 ou le 26 mai, et on l’avait cru mort, tandis qu’en réalité il était resté caché à Paris. Et pendant que ses doigts continuaient à ployer les brins d’osier et à les façonner en une élégante corbeille, Malon me racontait de sa voix tranquille, qu’agitait seulement par instants un léger tremblement, combien d’hommes avaient été fusillés par les Versaillais parce qu’on les soupçonnait d’être Pindy, Varlin, Malon ou quelque autre chef. Il me racontait ce qu’il savait du relieur Varlin, que les ouvriers de Paris adoraient, ou du vieux Delécluze, qui ne voulut pas survivre à la défaite, et de tant d’autres ; il me parlait des horreurs dont il avait été le témoin pendant l’orgie de sang par laquelle les classes riches de Paris avaient célébré leur rentrée à Paris, et aussi l’esprit de vengeance qui s’était emparé d’un certain nombre de Parisiens, conduits par Raoul Rigault, qui exécutèrent les otages de la Commune.

Ses lèvres frémissaient quand il parlait de l’héroïsme de la jeunesse ; et il était prêt d’éclater en sanglots quand il me racontait l’histoire de ce jeune homme que les troupes de Versailles allaient fusiller et qui demanda à l’officier la permission de remettre auparavant la montre en argent qu’il avait sur lui à sa mère qui demeurait près de là. Cédant à un mouvement de pitié, l’officier le laissa partir, espérant probablement qu’il ne reviendrait pas. Mais un quart d’heure plus tard, l’enfant était de retour et prenant place devant le mur au milieu des cadavres, il dit : « Je suis prêt. » Douze balles mirent fin à sa jeune existence.

Je crois que je n’ai jamais tant souffert qu’en lisant le livre terrible intitulé : Le Livre Rouge de la Justice rurale, qui ne contenait rien que des extraits des lettres écrites au Standard, au Daily Telegraph et au Times par