Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/32

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Tous ceux qui la connaissaient l’aimaient. Les serviteurs adoraient sa mémoire. Ce fut en souvenir d’elle que madame Burman prit soin de nous, et que la bonne russe nous prodigua son amour. En nous peignant, ou en faisant au-dessus de nous le signe de la croix quand nous étions couchés, Ouliana disait souvent : « Votre maman doit maintenant vous regarder du haut des cieux et vous pleurer, pauvres orphelins. » Toute notre enfance est illuminée par sa mémoire. Combien de fois, dans quelque sombre couloir, la main d’un serviteur ne nous a-t-elle pas, mon frère et moi, effleurés d’une caresse. Ou quelque paysanne nous rencontrant aux champs nous demandait : « Serez-vous aussi bons que l’était votre mère ? Elle avait pitié de nous. Vous lui ressemblerez, sûrement. » Nous signifiait évidemment les serfs. Je ne sais ce que nous serions devenus si nous n’avions trouvé dans notre maison, parmi les domestiques serfs, cette atmosphère d’amour dont les enfants ont besoin d’être entourés. Pour eux, nous étions ses enfants à elle, nous lui ressemblions, et ils nous prodiguaient leurs soins, parfois d’une façon touchante, comme on le verra plus loin.

Les hommes désirent passionnément vivre après leur mort, mais comment ne remarquent-ils pas que la mémoire d’une personne réellement bonne ne meurt jamais ? Elle revit dans la génération suivante, elle est transmise aux enfants. Cette immortalité ne leur sourit-elle pas ?