Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/339

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Un des membres de notre cercle, un officier, avait fait partie d’un groupe de jeunes gens dont l’ambition était de servir dans les zemstvos provinciaux (conseils de districts et de provinces). Ils regardaient cette tâche comme une haute mission et s’y préparaient par de sérieuses études sur les conditions économiques de la Russie centrale. De nombreux jeunes gens nourrissaient à cette époque les mêmes espérances ; mais toutes ces espérances s’évanouirent dès le premier contact avec le système de gouvernement en vigueur.

A peine le gouvernement avait-il accordé à quelques provinces russes une certaine autonomie, très limitée au fond, qu’il employait tous ses efforts pour annihiler cette réforme et lui enlever toute sa valeur et toute sa force.

Le gouvernement autonome des provinces devait se borner au rôle de fonctionnaire public, chargé de recueillir les taxes additionnelles locales et de les employer aux besoins de l’État dans leurs circonscriptions. Toute tentative de la part des conseils de districts pour prendre l’initiative d’améliorations quelconques — écoles, écoles normales, mesures sanitaires, perfectionnements relatifs à l’agriculture, etc. — était considérée par le gouvernement comme suspecte — et même comme dangereuse — et dénoncée par la « gazette de Moscou » comme une tendance « séparatiste », comme la création « d’un État dans l’État », comme un acte de rébellion contre l’autocratie.

Si quelqu’un voulait raconter par exemple l’histoire véridique de l’école normale de Tver, ou de toute tentative analogue faite à cette époque par un zemstvo, avec les persécutions mesquines, les interdictions, les suppressions et autres mesures dont on accablait ces sortes d’institutions, pas un lecteur de l’Ouest de l’Europe et surtout de l’Amérique ne voudrait y ajouter foi. Il mettrait le livre de côté, en disant ; « Cela n’est pas possible : c’est trop stupide pour être vrai. » Et pourtant cela était. Des groupes entiers de représentants élus de