Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/354

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Il suffisait pour cela d’une absolue sincérité, d’un désir général de résoudre le mieux possible toutes les difficultés et d’un mépris franchement exprimé pour tout ce qui ressemblait le moins du monde à une affectation théâtrale. Si l’un de nous s’était hasardé à prononcer un discours, avec des effets oratoires, on lui aurait montré aussitôt par d’amicales plaisanteries que ce n’était pas le lieu de faire de l’éloquence. Souvent, nous étions forcés de prendre nos repas pendant ces réunions et ils se composaient invariablement de pain de seigle avec des concombres salés et d’un morceau de fromage, le tout arrosé d’un grand nombre de tasses de thé faible. Non que l’argent nous fît défaut ; il y en avait toujours assez en caisse, mais jamais assez pour couvrir les dépenses toujours croissantes, nécessaires pour imprimer et transporter nos livres, pour soustraire nos amis aux recherches de la police, et mettre en œuvre de nouvelles entreprises.

A Pétersbourg, nous ne tardâmes pas à avoir de nombreuses connaissances parmi les ouvriers. Serdioukov, un jeune homme d’une haute culture intellectuelle, avait fait des amis parmi les mécaniciens employés pour la plupart dans un arsenal de l’État, et il avait organisé un cercle d’environ trente membres qui se réunissaient pour causer et discuter. Les mécaniciens étaient bien payés à Pétersbourg, et ceux qui n’étaient pas mariés étaient dans une assez bonne situation. Ils furent bientôt au courant des principaux ouvrages de la littérature radicale et socialiste — les noms de Burckle, de Lassalle, de Mill, de Draper, de Spielhagen, leur étaient familiers ; et au point de vue des idées, ces mécaniciens différaient peu des étudiants. Quand Kelnitz, Serge et moi, nous entrâmes dans le cercle, nous fîmes de fréquentes visites à leur groupe et nous leur donnâmes des conférences sur toutes sortes de sujets. Cependant nos espérances de voir ces jeunes gens devenir d’ardents propagandistes parmi les classes moins privilégiées des ouvriers ne se réalisèrent pas complètement. Dans un pays libre