Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/355

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ils auraient été les orateurs habituels des réunions publiques ; mais, de même que les ouvriers privilégiés du corps des bijoutiers à Genève, ils traitaient la masse des ouvriers de fabrique avec une sorte de mépris et ne se montraient pas empressés à devenir des martyrs de la cause socialiste. Ce fut seulement après avoir été arrêtés et fait trois ou quatre années de prison pour oser penser comme des socialistes, et quand ils eurent sondé la profondeur de l’absolutisme russe, que plusieurs d’entre eux se consacrèrent à une ardente propagande, principalement en faveur d’une révolution politique.

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Mes sympathies allaient surtout aux tisserands et aux ouvriers des fabriques de coton. Il y en a des milliers à Pétersbourg, qui y travaillent durant l’hiver et retournent passer les trois mois d’été dans leurs villages natals pour y cultiver la terre. Moitié paysans et moitié ouvriers des villes, ils avaient généralement gardé l’esprit social des villageois russes. Le mouvement se répandit parmi eux comme une traînée de poudre. Nous devions tempérer le zèle de nos nouveaux amis ; sans cela ils auraient amené chez nous, à la fois, des centaines de leurs amis, jeunes et vieux. La plupart d’entre eux vivaient en petites associations ou « artels » de dix ou douze personnes qui louaient un appartement commun et prenaient leurs repas ensemble, chacun payant sa quote-part mensuelle des dépenses générales. C’est dans ces logements que nous avions l’habitude d’aller et les tisserands nous mettaient en relation avec d’autres « artels » de maçons, de charpentiers et autres corps de métiers. Dans quelques-uns de ces « artels » Serge, Kelnitz et deux ou trois autres de nos amis étaient comme chez eux et ils y passaient des nuits entières à parler de socialisme. De plus nous avions dans différents quartiers de Pétersbourg des appartements spéciaux, loués par quelques-uns des nôtres, où se réunissaient chaque soir dix ou douze ouvriers pour apprendre à lire et à écrire et pour causer ensuite. De temps en temps, l’un de nous se