Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/368

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gendarme, qui m’apportait le thé du déjeuner. Il fut suivit bientôt après d’une autre personne qui me murmura d’une façon tout à fait inattendue : « Voici un bout de papier et un crayon, écrivez votre lettre. » C’était un des nôtres, que je connaissais de nom : c’était lui qui faisait passer notre correspondance aux prisonniers de la troisième section.

De tous côtés j’entendais des coups frappés contre les murs, se succédant rapidement. C’était le moyen employé par les prisonniers pour communiquer entre eux ; mais, en ma qualité de nouveau venu, je ne pouvais rien comprendre à ce système de coups, qui semblaient provenir de tous les points du bâtiment à la fois.

* * *

Une chose me tourmentait. Pendant la perquisition dans ma maison, j’avais saisi quelques paroles murmurées par le procureur à l’oreille de l’officier de gendarmerie au sujet d’une perquisition imminente dans l’appartement de mon ami Polakov, à qui était adressée la lettre de Dmitri. Polakov était un jeune étudiant, un zoologiste et un botaniste très bien doué avec lequel j’avais fait mon expédition de Vitim en Sibérie. Il était né dans une pauvre famille de cosaques sur la frontière de Mongolie et après avoir triomphé de mille difficultés, il était venu à Pétersbourg, était entré l’Université, où il avait acquis la réputation d’un zoologiste de grand avenir, et il était sur le point de subir ses examens de sortie. Nous avions été de grands amis depuis notre long voyage et nous avions même vécu ensemble pendant quelque temps à Pétersbourg ; mais il ne s’intéressait pas du tout à mon activité politique.

Je parlai de lui au procureur : « Je vous donne ma parole d’honneur, lui dis-je, que Polakov n’a jamais participé à aucune affaire politique. Il doit passer demain un examen et vous ne voudrez pas briser pour toujours la carrière scientifique d’un jeune homme qui a traversé de dures épreuves et lutté pendant des années contre toutes sortes d’obstacles pour arriver à sa situation actuelle.