Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/400

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Il a dû se passer quelque chose de mauvais, me dis-je.

Il s’était passé quelque chose d’impossible en apparence. On trouve toujours à Pétersbourg, près du Gostinoï-Dvor, des centaines de petits ballons d’enfants à acheter. Ce matin-là il n’y en avait pas un ; impossible de trouver le moindre ballon. On finit par en découvrir un, entre les mains d’un enfant, mais il était vieux et ne s’enlevait pas. Mes amis coururent alors chez un opticien, achetèrent un appareil pour faire de l’hydrogène et en remplirent le ballon ; mais il ne s’enlevait pas davantage : l’hydrogène n’était pas assez sec. Alors une dame attacha le ballon à son ombrelle, et le tenant très haut au-dessus de sa tête, elle se promena dans la rue le long de la muraille de notre cour ; mais je n’en vis rien ; le mur étant trop élevé et la dame trop petite.

Cependant le retard occasionné par l’incident du ballon avait été on ne peut plus heureux. Quand l’heure de ma promenade fut passée, la voiture repartit par la rue que je devais suivre après mon évasion, et là, dans une ruelle étroite, elle fut arrêtée par une douzaine et plus de charrettes qui amenaient du bois à l’hôpital. Les chevaux de ces charrettes couvraient toute la ruelle, les uns prenant à droite, les autres à gauche ; la voiture dut s’avancer au pas au milieu d’elles et finalement elle fut complètement arrêtée à un tournant. Si j’avais été dedans, j’aurais été repris.

On établit alors tout un système de signaux le long des rues par lesquelles nous devions passer après l’évasion, pour nous avertir au cas où les rues ne seraient pas libres. Sur une longueur de trois kilomètres à partir de l’hôpital mes camarades se mirent en sentinelle. L’un devait se promener un mouchoir dans la main, qu’il remettrait dans sa poche à l’approche des chariots ; un autre, assis sur une borne, devait manger des cerises et s’arrêter si les chariots s’approchaient, etc. Tous ces signaux, transmis le long des rues devaient être continués jusqu’à la voiture. Mes amis avaient aussi loué la maisonnette grise que je pouvais apercevoir de la cour,