Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/401

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et à la fenêtre ouverte de cette petite maison devait se tenir un violoniste, son instrument à la main, prêt à jouer quand le signal « la route est libre » lui parviendrait.

L’entreprise avait été fixée au lendemain, car tout délai aurait été dangereux. En effet, la voiture avait été remarquée par les gens de l’hôpital et quelques soupçons devaient être parvenus aux oreilles des autorités, car la veille de mon évasion j’entendis l’officier de patrouille demander à la sentinelle qui se tenait en face de ma fenêtre ; « Où sont tes cartouches ? » Le soldat se mit à les retirer lentement de sa cartouchière, ce qui prit une ou deux minutes. L’officier de patrouille se fâcha : « Ne vous a-t-on pas dit de prendre cette nuit quatre cartouche dans votre poche ? » Et il resta près de la sentinelle jusqu’à ce que celle-ci eût mis quatre cartouches dans sa poche. « Tiens l’œil ouvert, » lui dit l’officier en s’en allant.

Il fallait me communiquer sans retard les nouveaux arrangements relatifs aux signaux. Et le lendemain à deux heures, une dame — une de mes chères parentes — vint à la prison, demandant à me faire remettre une montre. Tous les objets qu’on me transmettait devaient passer par les mains du procureur ; mais comme il s’agissait ici d’une simple montre, sans boîte, on passa outre, et on me la remit de suite. Elle contenait une minuscule note chiffrée qui donnait le plan tout entier. En le voyant, je fus saisi de terreur en présence de tant d’audace. Cette dame, qui était elle-même recherchée par la police politique, aurait été arrêtée sur-le-champ si quelqu’un avait eu l’idée d’ouvrir le couvercle de la montre. Mais je la vis quitter tranquillement la prison et s’en aller lentement le long du boulevard.

Je sortis à quatre heures et fis mon signal. J’entendis bientôt le roulement de la voiture, et quelques minutes après les sons du violon de la maison grise retentirent dans notre cour. Mais à ce moment j’étais à l’autre bout du bâtiment. Lorsque je fus revenu à l’extrémité de mon