Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/42

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par des acteurs appartenant à l’école déclamatoire française, je n’eus aucun plaisir à leur jeu : je les comparais toujours à Schepkine et à Sadovskiy, par qui mon goût pour les choses de l’art dramatique fut fixé.

Ceci me fait croire que les parents qui désirent développer le goût artistique chez leurs enfants, devraient leur faire voir de temps en temps quelque bonne pièce réellement bien jouée, au lieu de les nourrir d’une profusion de « saynettes pour enfants ».

* * *

J’étais dans ma huitième année lorsque la seconde partie de mon existence fut déterminée d’une façon tout à fait imprévue. On organisait de grandes fêtes à Moscou : je ne sais pas exactement à quelle occasion, mais c’était probablement à l’occasion de vingt-cinquième anniversaire de l’avènement de Nicolas Ier au trône. La famille impériale allait venir dans la vieille capitale et la noblesse de Moscou voulut célébrer cet événements par un bal travesti où un rôle important était réservé aux enfants. Il fut convenu que toute la foule bigarrée des nationalités qui constituent la population de l’Empire russe serait représentée à ce bal pour saluer le monarque. De grands préparatifs furent faits chez nous ainsi que dans toutes les maisons du voisinage. Pour notre belle-mère on fit un costume russe très remarquable. Notre père, étant militaire, devait paraître naturellement en uniforme ; mais ceux de nos parents qui n’étaient pas au service étaient aussi occupés de leurs travestissements russes, grecs, caucasiens ou mongols, que les dames elles-mêmes. Lorsque la noblesse moscovite donne un bal à la famille impériale, il faut que ce soit quelque chose d’extraordinaire. Quant à mon frère Alexandre et à moi, nous étions considérés comme trop jeunes pour prendre part à une cérémonie si importante.

Et cependant je devais quand même y figurer. Notre mère avait été l’amie intime de madame Nazimov,