Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/440

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France les choses se développent d’une manière particulière. Quand la réaction l’a emporté, toutes les traces visibles d’un mouvement disparaissent. Ceux qui luttent contre le courant sont en petit nombre. Mais par des voies mystérieuses, par une sorte d’infiltration invisible d’idées, la réaction est minée peu à peu ; un nouveau courant se forme, et alors on s’aperçoit, tout à coup, que l’idée que l’on croyait morte, était toujours vivante, et qu’elle n’a fait que se développer et grandir, et aussitôt qu’une agitation politique devient possible, des milliers d’adhérents surgissent, dont personne ne soupçonnait l’existence. « Il y a à Paris, disait le vieux Blanqui, cinquante mille hommes qui ne viennent jamais à une réunion ou à une manifestation ; mais quand ils sentent que le peuple peut descendre dans la rue pour imposer son opinion, ils sont là pour donner l’assaut à la position. » Nous n’étions pas vingt pour alimenter le mouvement, ni deux cents pour le soutenir ouvertement. Au premier anniversaire de la Commune, en mars 1878, nous n’étions sûrement pas deux cents. Mais deux ans après, l’amnistie en faveur des Communards était votée et la population ouvrière de Paris était dans les rues pour fêter leur retour. Des milliers d’ouvriers accouraient dans les réunions pour les saluer de leurs acclamations, et le mouvement socialiste prit une soudaine expansion, entraînant avec lui les radicaux. Mais le moment n’était pas encore propice à ce réveil du socialisme. Une nuit, en avril 1878, Costa et un camarade français furent arrêtés. Le tribunal les condamna à dix-huit mois de prison comme internationalistes. Je n’échappai à une arrestation que par suite d’un malentendu. La police recherchait Levachov et elle se lança chez un étudiant russe dont le nom ressemblait à mon nom d’emprunt. J’avais donné mon vrai nom et je restai encore un mois à Paris sous ce nom. Je fus alors appelé en Suisse.

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Pendant mon séjour à Paris, je fis pour la première fois connaissance avec Tourguénev. Il avait exprimé à