Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/479

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C’était alors l’âge d’or de la police secrète en Russie. La politique d’Ignatiev avait porté ses fruits. Il y avait deux ou trois corps de police rivalisant de zèle, ayant chacun à sa disposition un énorme budget et ourdissant les intrigues les plus audacieuses. Ainsi, par exemple, le colonel Soudéikine, chef de l’un de ces corps, de connivence avec un certain Degaïev, qui du reste le tua, dénonçait les agents d’Ignatiev aux révolutionnaires, et offrait aux terroristes toutes les facilités nécessaires pour se débarrasser du comte Tolstoï, ministre de l’Intérieur, et du grand-duc Vladimir ; il ajoutait qu’il serait alors nommé lui-même ministre de l’intérieur, avec un pouvoir dictatorial, et qu’il aurait le tsar complètement dans sa main. Cette phase d’épanouissement de la police secrète russe atteignit plus tard son apogée dans l’enlèvement du prince de Battenberg de la Bulgarie.

La police française était aussi en éveil. La question de savoir ce que je faisais à Thonon l’intriguait. Je continuais à rédiger Le Révolté et j’écrivais des articles pour l’Encyclopædia Britannica et la Newcastle Chronicle. Mais quels sujets de rapports cela pourrait-il bien fournir ?

Un jour un gendarme de la localité vint voir ma propriétaire. Il avait entendu de la rue le ronflement d’une machine et il rêvait déjà de la découverte chez moi d’une imprimerie clandestine. I1 vint donc pendant mon absence et demanda à ma propriétaire de lui montrer la presse. Elle répondit qu’il n’y en avait pas et ajouta que le gendarme avait peut-être entendu le bruit de sa machine à coudre. Mais le représentant de l’autorité ne se contenta pas d’une explication aussi prosaïque et ma propriétaire dut faire marcher sa machine à coudre, pendant qu’il écoutait dans la maison et du dehors, pour s’assurer que le bruit était bien celui qu’il avait entendu.

— Que fait-il tout le long du jour ? demanda-t-il à mon hôtesse.

— Il écrit...