Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/480

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— Il ne peut pas écrire toute la journée.

— A midi, il scie du bois dans le jardin, et il fait une promenade à pied chaque après-midi entre quatre et cinq. — On était en novembre.

— Ah ? c’est ça ! A la tombée de la nuit ? » Et il écrivit dans son carnet :

« Ne sort jamais, que lorsqu’il fait nuit. »

Je ne pouvais pas bien m’expliquer à cette époque la surveillance spéciale des espions russes ; mais elle doit avoir eu quelque rapport avec ce qui suit. Quand Ignatiev fut nommé premier ministre, il conçut un nouveau plan, sur les conseils de l’ex-préfet de police de Paris, Andrieux. Il envoya une nuée de ses agents en Suisse et l’un d’eux entreprit la publication d’un journal qui prétendait plaider la cause de l’extension des zemtsvos (gouvernement provincial en Russie), mais dont le but principal était de combattre les révolutionnaires et de rallier sous sa bannière ceux des réfugiés qui étaient hostiles au terrorisme. C’était certainement un moyen de semer la division dans nos rangs. Puis, quand presque tous les membres du Comité exécutif eurent été arrêtés en Russie et que quelques-uns d’entre eux se furent réfugiés à Paris, Ignatiev envoya un agent à Paris pour proposer un armistice. Il promit qu’il n’y aurait plus désormais d’exécutions pour les complots remontant au règne d’Alexandre II, même si ceux qui n’avaient pas été arrêtés tombaient entre les mains du gouvernement ; que Tchernychevsky serait rappelé de Sibérie ; et qu’une commission serait nommée pour réviser les cas de ceux qui avaient été exilés en Sibérie sans jugement. D’un autre côté, il demandait au Comité exécutif de promettre de ne pas attenter à la vie du tsar jusqu’après le couronnement. Peut-être fut-il aussi question des réformes projetées par Alexandre III en faveur des paysans. L’entente se fit à Paris et fut observée des deux côtés. Les terroristes suspendirent les hostilités. Personne ne fut exécuté pour avoir pris part aux conspirations antérieures : ceux qui furent arrêtés plus tard sous cette accusation