Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/484

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à m’arrêter aussi, me représentant comme le chef de l’agitation, venu de Londres exprès, pour diriger le mouvement. Les espions russes commencèrent à se montrer en plus grand nombre encore dans notre petite ville. Presque chaque jour, je recevais des lettres, évidemment écrites par la police internationale, où il était question de complots de dynamite, ou qui m’annonçaient mystérieusement que des envois de dynamite m’avaient été adressés. Je fis toute une collection de ces lettres, sur chacune desquelles j’écrivis : « Police internationale. » Elles furent emportées par la police quand celle-ci vint faire une perquisition dans ma maison ; mais on n’osa pas les produire en justice, et elles ne me furent jamais rendues. En décembre, la maison où je demeurais fut fouillée, tout comme si c’eut été en Russie, et ma femme, qui se rendait à Genève, fut arrêtée à la gare de Thonon et fouillée aussi. Mais on ne trouva naturellement rien de compromettant, ni pour moi, ni pour qui que ce fût.

Dix jours se passèrent, pendant lesquels j’avais été libre de partir, si j’en avais eu le désir. Je reçus plusieurs lettres me conseillant de disparaître. L’une d’elles me venait d’un ami inconnu Russe, peut-être membre du corps diplomatique, qui paraissait m’avoir connu et qui m’écrivait de partir immédiatement, si je ne voulais pas être la première victime d’un traité d’extradition que la France était en train de conclure avec la Russie. Je restai où j’étais ; et quand le Times publia un télégramme disant que j’avais disparu de Thonon, j’écrivis une lettre à ce journal pour lui donner mon adresse et déclarer que, après l’arrestation d’un si grand nombre de mes amis, je n’avais nullement l’intention de partir.

Dans la nuit du 21 décembre, mon beau-frère mourut dans mes bras. Nous savions que sa maladie était incurable, mais c’est une chose terrible que de voir une jeune existence s’éteindre sous vos yeux après une lutte héroïque contre la mort. Ma femme et moi nous avions le cœur brisé. Trois ou quatre heures après, comme le jour