Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/492

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depuis par tous ceux qui s’étaient occupés du régime pénitentiaire. Et quand je voyais ces enfants et que je me représentais ce que l’avenir leurs réservait, je ne pouvais que me demander : « Lequel des deux, est le plus criminel, de cet enfant ou du juge qui condamne tous les ans des centaines d’enfants à cette destinée ? » J’admets bien volontiers que le crime de ces juges est inconscient. Mais tous les crimes, pour lesquels on met les gens en prison, sont-ils aussi conscients qu’on le suppose d’ordinaire ?

Je fus vivement frappé, dès les premières semaines de mon emprisonnement, d’une autre chose qui, cependant, échappe à l’attention des juges et des criminalistes. Je veux dire que la prison, dans la majorité des cas, sans parler des erreurs judiciaires, est une punition qui frappe des gens complètement innocents, beaucoup plus sévèrement que les condamnés eux-mêmes.

Presque chacun de mes camarades, qui représentaient la véritable moyenne de la population ouvrière, avait soit une femme et des enfants à nourrir, soit une soeur ou une vieille mère, qui n’avaient pour vivre que son salaire. Maintenant, abandonnées à elles-mêmes, ces femmes faisaient tout leur possible pour trouver du travail, et quelques-unes en trouvaient, mais pas une d’elle n’arrivait à gagner régulièrement un franc cinquante par jour. Neuf francs et souvent sept francs par semaine, c’était tout ce qu’elles pouvaient gagner pour vivre, elles et leurs enfants. Et cela voulait dire : nourriture insuffisante, privations de toute sorte, et dépérissement de la santé de la femme et des enfants ; affaiblissement de l’intelligence, de l’énergie et de la volonté. Je compris ainsi que nécessairement les condamnations prononcées par les tribunaux, infligent à des gens tout à fait innocents toutes sortes de souffrances, qui dans la plupart des cas, sont pires que celles, imposées aux condamnés eux-mêmes. On croit généralement que la loi punit l’homme en lui infligeant diverses tortures physiques ou morales. Mais l’homme