Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/502

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En effet, il est certain que la détention prolongée détruit nécessairement, fatalement, l’énergie d’un homme, et elle tue plus encore en lui la volonté. L’homme ne trouve pas dans la vie de la prison le moyen d’exercer sa volonté. En avoir une, pour un détenu, c’est se préparer sûrement des misères. La volonté du détenu doit être brisée, et elle l’est. On trouve encore moins l’occasion d’exercer le besoin d’affection, inné dans l’homme, car tout est combiné de façon à empêcher tout rapport entre le prévenu et ceux pour lesquels il éprouve quelque sympathie, soit au dehors, soit parmi ses camarades. Physiquement et intellectuellement il est rendu de plus en plus incapable d’un effort soutenu ; et s’il a eu autrefois le dégoût du travail régulier, ce dégoût ne fait que s’accroître pendant les années de détention. Si, avant d’entrer pour la première fois en prison, il se sentait dégoûté d’un travail monotone, qu’il ne pouvait faire convenablement faute de connaître à fond aucun métier, ou s’il avait de la répugnance pour un travail mal rétribué, son dégoût se change maintenant en haine. S’il avait quelque doute au sujet de l’utilité sociale des lois morales courantes, il les jette maintenant par-dessus bord, dès qu’il a pu juger les défenseurs officiels de ces lois et apprendre de ses codétenus leur opinion à ce sujet. Et si le développement morbide du côté passionné et sensuel de sa nature l’a entraîné à des actes mauvais, ce caractère morbide se développe encore davantage quand il a passé quelques années en prison — et dans beaucoup de cas d’une façon effrayante. C’est à ce point de vue — le plus dangereux de tous — que l’éducation pénitentiaire est le plus funeste.

J’avais vu en Sibérie quels abîmes de corruption, quels foyers de dépravation physique et morale étaient les vieilles geôles russes, sales, encombrées de détenus, et à dix-neuf ans, je m’imaginais que l’institution pourrait être améliorée considérablement, si on n’entassait pas ainsi les détenus, si on les divisait en un certain