Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/503

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nombre de groupes et si on leur faisait faire un travail sain. Il fallait maintenant renoncer à ces illusions. Je pouvais me convaincre qu’au point de vue des effets produits sur les condamnés et des résultats obtenus pour la société en général, les meilleures prisons réformées, cellulaires ou non, sont aussi mauvaises, ou même pires, que les sales geôles d’antan.

Ces maisons modernes ne réforment certainement pas les détenus. Au contraire, dans l’immense et écrasante majorité des cas, elles exercent sur eux les plus désastreux effets. Le voleur, l’escroc, le brutal, etc., qui a passé quelques années en prison, en sort forcé, plus que jamais, à reprendre son ancien métier ; il y est mieux préparé ; il a appris à mieux l’exercer ; il est plus acharné contre la société et il trouve une justification plus fondée à se révolter contre les lois et les usages. Il doit nécessairement, inévitablement, commettre de nouveau les actes anti-sociaux, qui l’ont amené une première fois devant les tribunaux ; mais les fautes qu’il commettra après son incarcération seront plus graves que celles qui l’ont précédée ; et il est condamné à finir sa vie en prison ou dans une colonie pénitentiaire. Dans le livre cité plus haut, je disais que les prisons sont « des universités du crime, entretenues par l’État. » Et maintenant, en songeant à cette expression à quinze ans de distance, je ne puis que la confirmer, car elle s’appuie sur toute l’expérience que j’ai acquise depuis.

Je n’ai personnellement aucune raison de me plaindre en quoi que ce soit des années que j’ai passées à Clairvaux. Un homme actif et indépendant souffre tellement de se voir privé de liberté et condamné à une inactivité relative, que toutes les petites misères de la vie de prison sont sans importance. Quand nous entendions parler de l’activité politique intense qui se manifestait en France, nous ressentions naturellement plus vivement notre inactivité forcée. La fin de la première année, surtout pendant les sombres jours d’hiver, est toujours pénible pour les détenus. Et quand le printemps