Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/513

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trop dur à son égard ; mais quelque temps après nous reçûmes une lettre de Pétersbourg, nous avertissant que nous aurions la visite d’un espion de la Troisième Section, du nom de Tohnlehm. Le chandelier nous avait alors rendu un grand service.

Que ce fût par un chandelier ou par tout autre chose, ces gens-là se trahissaient toujours de quelque façon. Pendant notre séjour à Londres en 1881, nous reçûmes, un matin de brouillard, la visite de deux Russes. J’en connaissais un de nom ; l’autre, un jeune homme qu’il recommandait comme un de ses amis, était un étranger qui avait consenti à l’accompagner dans un voyage de quelques jours en Angleterre. Comme il était introduit par un ami, je n’avais pas sur lui le moindre soupçon ; mais j’étais très occupé ce jour-là par quelque travail et je priai un autre camarade, qui demeurait tout près de nous, de leur trouver des chambres et de les promener dans Londres. Ma femme ne connaissait pas encore Londres à ce moment et elle alla avec eux. Dans l’après-midi elle rentra en me disant : « Sais-tu, cet homme ne me plaît pas du tout. Méfie-t’en. » — Pourquoi donc ? Qu’y a-t-il ? lui demandai-je. — « Rien, absolument rien, mais il n’est sûrement pas des nôtres. A la façon dont il traitait le garçon de café, et dont il maniait l’argent, j’ai vu tout de suite qu’il n’était pas des « nôtres », et s’il n’en est pas, pourquoi vient-il chez nous ? » Elle était si certaine que ses soupçons étaient fondés, que tout en accomplissant ses devoirs d’hospitalité, elle s’arrangea de façon à ne pas laisser le jeune homme seul dans mon cabinet, ne fût-ce qu’une minute. Nous nous mîmes à causer, et le visiteur commença à montrer de plus en plus la bassesse de son caractère, à tel point que son ami en avait honte pour lui, et lorsque je l’interrogeai avec plus de détails sur sa vie, les explications qu’il donna furent encore moins satisfaisantes. Nous étions tous les deux sur nos gardes. Bref, tous deux quittèrent Londres au bout de deux ou trois jours, et quinze jours plus tard je reçus une lettre de mon