Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/518

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mais ils ne s’entendirent pas et la lettre fut déchirée et jetée dans les champs. Le garde attendit qu’ils eussent disparu, ramassa les morceaux, les rassembla et lut la lettre. Une heure après, le village savait que le baron n’avait en réalité jamais connu ma femme ; le roman sentimental répété par le parti du baron s’écroulait de toutes pièces.

« Mais alors, ils ne sont pas ce qu’ils prétendaient être, » conclut à son tour le brigadier de gendarmerie ; « alors ce doit être des espions allemands, » — et il les arrêta.

Il faut dire pour sa défense qu’il y avait eu réellement à Clairvaux un espion allemand peu de temps auparavant. En temps de guerre les vastes bâtiments de la prison pourraient servir de dépôts pour les provisions ou de casernes pour les troupes, et l’état-major général allemand était sûrement intéressé à connaître l’intérieur des bâtiments et leur importance militaire. Un joyeux photographe ambulant arriva donc un beau jour dans notre village, se fit des amis de tous les habitants en les photographiant pour rien, et fut admis à photographier non seulement l’intérieur des cours de la prison, mais encore des dortoirs. Après cela, il partit pour quelque autre ville sur la frontière de l’est et y fut arrêté par les autorités françaises, parce qu’il fut trouvé porteur de documents militaires compromettants. Le brigadier, qui avait encore le souvenir tout frais de la visite du photographe, en conclut aussitôt que le baron et son secrétaire étaient aussi des espions allemands et les conduisit à la prison de la petite ville de Bar-sur-Aube. Là, ils furent relâchés le lendemain matin et le journal local annonça qu’ils n’étaient pas des espions allemands, mais « des personnes chargées d’une mission par une puissance amie ».

L’opinion publique se retourna alors contre le baron et son secrétaire. Leurs aventures ne finirent pas là. Après leur mise en liberté, ils entrèrent dans un petit café de village, et donnèrent en langue allemande un