Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/519

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libre cours à leur mécontentement, tout en vidant une bouteille de vin. « Tu as été stupide, tu as été lâche, disait le prétendu interprète au prétendu baron. Si j’avais été à ta place, j’aurais tiré un coup de revolver sur le juge d’instruction. Qu’il essaie donc avec moi, il recevra une de ces balles dans la tête !... etc. ». Et il exhiba son arme.

Un voyageur de commerce qui était tranquillement assis dans un coin de la pièce, courut aussitôt rapporter au brigadier la conversation qu’il avait entendue. Le brigadier rédigea immédiatement procès-verbal et arrêta sur-le-champ le secrétaire, — un pharmacien de Strasbourg. Il fut traduit devant le tribunal de Bar-sur-Aube et attrapa un mois de prison, pour menaces proférées contre un magistrat dans l’exercice de ses fonctions.

Finalement les deux aventuriers quittèrent Clairvaux.

Ces histoires d’espionnage finirent d’une façon comique. Mais combien de tragédies, de tragédies terribles, ne devons-nous pas à ces misérables ! Que de vies précieuses perdues, que de familles dont le bonheur est brisé, simplement pour faire vivre dans l’aisance de pareils escrocs. Quand on pense aux milliers d’espions, à la solde de tous les gouvernements, qui circulent par le monde ; aux pièges qu’ils tendent à toutes sortes de gens irréfléchis ; aux vies humaines, qui parfois ont une fin tragique par leur faute, aux souffrances qu’ils sèment de tous côtés sur leur chemin ; aux sommes d’argent considérables dépensées pour l’entretien de cette armée, recrutée dans l’écume de la société ; aux vices qu’ils inoculent à la société en général, et jusqu’aux familles elles-mêmes ; quand on pense à tout cela, on ne peut s’empêcher de frémir devant l’immensité du mal qu’ils font. Et cette armée de misérables n’est pas limitée à ceux qui jouent le rôle d’espions auprès des révolutionnaires, et au système d’espionnage militaire. Il y a en Angleterre des journaux, surtout dans les villes d’eaux, dont les colonnes sont pleines d’annonces, faites par des « agences de renseignements » qui se chargent de