Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/533

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à 1885. Quand j’étais en Suisse, je puis dire que pendant les trois ou quatre années de mon séjour je ne connus que des ouvriers. C’est à peine si je fis la connaissance de deux ou trois personnes de la bourgeoisie. En Angleterre c’eût été impossible. Nous trouvions un grand nombre d’hommes et de femmes de la classe moyenne, qui n’hésitaient pas, tant à Londres que dans les provinces, à nous aider ouvertement à organiser des meetings socialistes, ou à aller la bourse à la main quêter des sous dans les parcs pour venir en aide aux grévistes. Nous pouvions en outre constater un mouvement analogue à celui que nous avions eu en Russie dans les années qui suivirent 1870, quand la jeunesse russe se porta « vers le peuple », sauf qu’il n’était pas si intense, ni si rempli de l’esprit de sacrifice, ni si complètement étranger à l’idée de « charité ». En Angleterre aussi un certain nombre de gens cherchaient de toutes sortes de façons à se rapprocher des ouvriers, en visitant les taudis, en créant des universités populaires, des Toynbee Hall, etc. On peut dire qu’il régnait alors un grand enthousiasme. Beaucoup de personnes des classes cultivées croyaient sans doute qu’une révolution sociale avait commencé, comme le pensait le héros de la comédie du poète William Morris, intitulée Tables Tarned, qui dit que la révolution ne va pas seulement commencer, mais qu’elle a déjà commencé. Il arriva cependant ce qui arrive toujours avec de pareils enthousiastes ; quand ils virent qu’en Angleterre, comme partout ailleurs, il fallait se soumettre à un long et pénible travail préparatoire, pour triompher des obstacles, un grand nombre d’entre eux renoncèrent à faire une propagande active et ils se sont maintenant retirés de la lutte, à laquelle ils assistent en simples spectateurs sympathiques.

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Je pris une part active à ce mouvement et avec quelques camarades anglais nous fondâmes, en plus des trois journaux socialistes qui existaient déjà, une revue