Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/63

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essayèrent d’arrêter les progrès de Napoléon, et comment la Grande Armée les écrasa et traversa les lignes russes. Il nous expliquait la bataille aussi bien que s’il y avait pris part lui-même. Ici, les Cosaques tentèrent un mouvement tournant, mais Davoust, ou quelque autre maréchal, les mit en déroute et les poursuivit jusqu’à ces collines à droite. Là, l’aile gauche de Napoléon écrasa l’infanterie russe, et ici Napoléon en personne, à la tête de la Vieille Garde, chargea le centre de Koutouzov et se couvrit lui et sa garde d’une gloire immortelle.

Une fois, nous prîmes la route de Kalouga et fîmes halte à Taroutina : mais ici M. Poulain fut beaucoup moins éloquent, car c’est en cet endroit que Napoléon, dont l’intention était de battre en retraite par une route située plus au sud, fut forcé, après une bataille sanglante, de renoncer à son plan, et de prendre la route de Smolensk que son armée avait dévastée dans sa marche sur Moscou. Cependant, dans le récit de M. Poulain, Napoléon ne perdait pas la bataille : il était simplement trompé par ses maréchaux ; autrement il aurait marché directement sur Kiev et Odessa et ses aigles auraient flotté sur la Mer Noire.

Après Kalouga nous avions à traverser sur une longueur de deux lieues une magnifique forêt de pins, qui dans ma mémoire reste liée à quelques-uns des souvenirs les plus heureux de mon enfance. Dans cette forêt le sable était aussi profond que dans un désert d’Afrique ; et durant toute cette traversée nous allions à pied, pendant que les chevaux, s’arrêtant à tout instant, traînaient lentement les voitures à travers le sable. Plus tard, lorsque j’eus accompli mes dix ans, mon plus grand plaisir était de laisser ma famille en arrière et de traverser la forêt tout seul. D’immenses pins rouges, plusieurs fois séculaires se dressaient de chaque côté, et nul autre son ne frappait l’oreille que les voix des grands arbres. Dans un petit ravin murmurait une fraîche source cristalline, et un passant y avait laissé, pour ceux qui viendraient après lui, une petite cuillère en forme d’entonnoir,