Page:Kropotkine - Mémoires d’un révolutionnaire.djvu/93

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être le dernier, pourvu que je puisse quitter l’école militaire le plus tôt possible. « Peut-être que vous aimerez l’école dans quelque temps, » fit-il observer, et depuis ce jour il se montra très aimable à mon égard.

Le professeur de mathématique essaya aussi de me consoler. Mais je lui donnai ma parole d’honneur que je ne jetterais jamais les yeux dans son livre, et que néanmoins il serait forcé de me donner les meilleures notes. Je tins parole ; mais en réfléchissant aujourd’hui à cette scène il m’apparaît que l’élève n’était pas d’une nature très docile.

Et cependant, lorsque je remonte à ce lointain passé, je ne puis que me féliciter d’avoir été mis dans la dernière classe. N’ayant, durant la première année, qu’à réviser ce que je savais déjà, je pris l’habitude d’apprendre mes leçons en écoutant simplement ce que les professeurs disaient en classe ; et après les classes j’avais assez de loisir pour lire et écrire autant que je voulais. Je ne préparais jamais mes examens, et je passais le temps qui nous était accordé à cet effet à faire à quelques amis la lecture des drames de Shakespeare ou d’Ostrovsky. Lorsque j’arrivai aux classes « spéciales », j’étais ainsi mieux préparé à recevoir l’enseignement très varié qui nous y était donné.

D’autre part je passai à l’hôpital plus de la moitié du premier hiver. Comme tous les enfants qui ne sont pas nés à Pétersbourg, j’eus à payer mon tribut à « la capitale des marais finlandais » sous la forme de quelques attaques de choléra local et d’une attaque de fièvre typhoïde.

* * *

Au moment où j’entrais au corps des pages, il se produisit un profond changement dans sa vie intime. Toute la Russie se réveillait alors du lourd sommeil et du terrible cauchemar qu’avait été le règne de Nicolas 1er. Notre école sentit elle aussi les effets de cette renaissance. Je ne sais en vérité ce qui serait advenu de moi si j’étais entré au corps des pages une ou deux