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Page:Krudener - Valerie.djvu/110

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libre ; je touchois cet anneau qui me séparoit d’elle à jamais, et qui faisoit battre mon cœur de terreur et d’effroi ; mes yeux s’y fixoient avec stupeur. « Quoi ! me disois-je, j’aurois pu prétendre aussi à elle ! Je vivois dans le même pays, dans la même province ; mon nom, mon âge, ma fortune, tout me rapprochoit d’elle ; qu’est-ce qui m’a empêché de deviner cet immense bonheur ? » Mon cœur se serroit, et quelques larmes, douloureuses comme mes pensées, tomboient sur sa main. « Qu’avez-vous, Gustave ? Dites-moi ce qui vous tourmente. » Elle vouloit retirer sa main ; mais sa voix étoit si touchante, j’osai la retenir. Je voulois lui dire… que sais-je ? Mais je sentis cet anneau, mon supplice et mon juge ; je sentis ma langue se glacer. Je quittai la main de Valérie, et je soupirois profondément. « Pourquoi, me dit-elle, pourquoi toujours cette tristesse ? Je suis sûre que vous pensez à cette femme. Je sens bien que son image est venue vous troubler aujourd’hui plus que jamais ; toute cette soirée vous a ramené en Suède. — Oui, dis-je en respirant péniblement. — Elle a donc bien des charmes, me dit-elle, puisque rien ne peut vous distraire d’elle ? — Ah ! elle a tout, tout ce qui fait les fortes passions : la grâce, la timidité, la décence, avec une de ces âmes passionnées pour le bien, qui aiment parce qu’elles vivent, et qui ne vivent que pour la vertu ; enfin, par le plus charmant des contrastes, elle a tout ce qui annonce la foiblesse et la dépen-