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Et cependant, autour de cette enceinte, qu’habite l’épouvante et que frappe si souvent le deuil, le peuple, comme un essaim d’abeilles, bourdonne le jour et s’endort sur les marches de ces palais où vivent ses souverains, et, à l’ombre du despotisme, jouit d’une grande liberté, et même d’une coupable indulgence pour ses crimes. Heureux de paresse et d’insouciance, le Vénitien vit de son soleil et de ses coquillages, se baigne dans ses canaux, suit ses processions, chante ses amours sous un ciel calme et propice, et regarde son carnaval comme une des merveilles du monde.

Les arts ont embelli la magnificence des monumens ; le génie du Titien, de Paul Véronèse et du Tintoret, ont illustré Venise ; le Palladio a donné une immortelle splendeur aux palais des Cornaro, des Pisani ; et le goût et l’imagination ont revêtu de beautés ce qui seroit mort sans eux.

Venise est le séjour de la mollesse et de l’oisiveté. On est couché dans des gondoles qui glissent sur les vagues enchaînées ; on est couché dans ces loges où arrivent les sons enchanteurs des plus belles voix de l’Italie. On dort une partie de la journée ; on est, la nuit, ou à l’Opéra, ou dans ce qu’on appelle ici des casins. La place de Saint-Marc est la capitale de Venise, le salon de la bonne compagnie la nuit, et le lieu de rassemblement du peuple le jour. Là, des spectacles se succèdent ; les cafés s’ouvrent et se referment sans cesse ; les boutiques étalent leur luxe ; l’Ar-