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LETTRE XXIV

Venise, le…

Je ne sais comment je vis, comment je puis vivre avec les violentes émotions que j’éprouve sans cesse. Étoit-ce à moi d’aimer ? Quelle âme ai-je donc reçue ! Celles qui sont le plus sensibles, celle du comte même, qu’elle est loin de souffrir comme la mienne ! et cependant il l’aime bien cette même femme qui consume ma raison, mon bonheur et ma vie, et qui, sans se douter de son empire, me verra peut-être mourir sans deviner la cause de mon funeste sort. Cruelle pensée ! Ah ! pardonne, Valérie, ce n’est pas de toi que je me plains, c’est moi que je déteste. La foiblesse seule peut être aussi malheureuse : toujours dépendante, elle a des tourmens qui n’osent aborder qu’elle ; je traîne à ma suite mille inquiétudes inconnues aux autres.

Mais j’oublie que tu ne sais encore rien ; non, tu ne conçois pas ce que j’ai souffert, Ernest ; j’ai si peu de raison, si peu d’empire sur moi-même ! Écoute donc, mon ami, s’il m’est possible toutefois de mettre un peu d’ordre dans mon récit. Quoique Valérie ne soit qu’au septième mois de sa grossesse, on a craint qu’elle n’accouchât avant-hier. Son extrême jeunesse la rend si délicate qu’on a toujours présumé qu’elle n’atteindroit pas le