Aller au contenu

Page:Kufferath - L’Art de diriger l’orchestre, 1890.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
l’art de diriger

s’aperçût de cette délicate mimique, car M. Richter n’est pas de ceux qui dirigent pour le public ; il est là pour l’orchestre, rien que pour l’orchestre. Je tiens ce joli trait de M. Guide, le distingué hautboïste de l’orchestre bruxellois et professeur au Conservatoire royal. Depuis j’ai entendu ce même motif du prélude exécuté par un hautboïste tout aussi distingué, mais sèchement et froidement, sans ce « cœur » que faisait résonner Richter. La faute n’en était pas au soliste mais au chef d’orchestre qui battait sévèrement la mesure pendant ce chant doux et navré et continuait même à la battre ostensiblement pendant les longs et suggestifs silences, les silences vides et désolés, qui succèdent à cette plainte sans réponse. M. Richter se gardait bien pendant ces pauses de montrer son bâton se bornant à compter mentalement.

M. Richter n’est pas, du reste, de l’école de ces chefs d’orchestre qui annihilent la spontanéité chez les exécutants et mécanisent l’interprétation. Il aime, au contraire, à laisser l’orchestre suivre son sentiment, quitte à le ramener dans le droit chemin s’il menaçait de s’égarer. Il en est toujours le maître parce que sans s’imposer toujours aux exécutants, il ne les abandonne jamais.

Les musiciens de l’orchestre bruxellois n’en revenaient pas, dès la première répétition, de l’autorité, je dirais presque de la domination exercée sur eux par cet homme extraordinaire. Et après le concert, ils avouaient n’avoir jamais joué avec autant de « sécurité » ; le mot est à retenir. J’attribue en partie cette « sécurité » au fait que M. Richter dirigeait par cœur. De son propre aveu, il a mieux ainsi dans la main tout l’ensemble instrumental.