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condamnés à se haïr éternellement, absorbent le philtre d’amour au lieu du poison mortel qu’Iseult avait fait préparer et se jettent éperdument dans les bras l’un de l’autre en proie à une ineffable extase. C’est à cette situation que se rapporte particulièrement le quatrième thème.

À ce propos j’appellerai l’attention des chefs d’orchestre sur le trait rapide (une octave entière) qui conduit au sommet mélodique de ce motif. Ce trait, qu’on le remarque bien, fait partie intégrante du thème. Ce n’est pas un simple ornement ; il doit être exécuté strictement, posément, sans précipitation, avec un léger appui sur la note initiale afin de bien marquer le point de départ. C’est un petit détail auquel M. Richter, avec raison, attachait beaucoup d’importance. Tout le développement qui suit et où ce trait revient constamment acquiert ainsi un élan extraordinaire et prend une expression radieuse qui forme un contraste évidemment voulu par l’auteur.

Alors aussi devient plus poignante l’arrivée du decrescendo sur la rentrée des accords désolés, de l’incisive et gémissante appogiature du premier thème. À la fin, quand les dernières notes de ce thème retombent inarticulées, à peine murmurées, haletantes, brisées, s’exhalant ainsi que le dernier souffle et le dernier sanglot d’un agonissant, je défie bien l’auditeur le plus insensible aux émotions musicales de ne pas éprouver une forte secousse.

L’effet sera nul, en revanche, si les constantes alternatives entre le crescendo et le diminuendo ne sont pas rendues avec un relief suffisant. C’est alors, comme le disait Berlioz, une succession d’accords dissonants sans