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L’ÉCHO DE PARIS


Aurélien Scholl
rédacteur en chef
10 CENT. le numéro : Paris et départements
La Rédaction ne répond pas des manuscrits qui lui sont adressés
N°79 Jeudi 29 Mai 1884 N°79
Valentin Simond
directeur
10 CENT. le numéro : Paris et départements
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Voir, à la quatrième page, la Bourse et les Nouvelles de la dernière heure.

AUJOURD’HUI
L’écho de Paris publie
LES SŒURS RONDOLI
par
GUY de MAUPASSANT

Lire à la deuxième page la Pretantaine, roman de, Georges Duval.


SOMMAIRE


Les Propos du Boulevard. Ver-Luisant.
Chronique de Paris. — Albert Dubrujeaud.
Informations.
Les Associations libérales belges. — Aurélien Scholl.
M. le comte d’Haussonville.
La Vente Berne-Bellecour. — Marc de Valleyres.
Chambre.
Sénat.
Extérieur. — A. Saissy.
Le Sport quotidien. — Clubman.
Les Causes célèbres. — A. Fouquier.
Courrier judiciaire. — La Barre.
Faits Divers.
Courrier des théâtres. — Maurice Lefèvre.
Feuilletons. — Les Sœurs Rondoli. — Guy de Maupassant.
Feuilletons. — La Pretantaine. — G. Duval.


LÉON CHAPRON


Un homme de talent, un homme de cœur, qui avait été un de mes meilleurs amis, Léon Chapron vient de s’éteindre dans les bras de sa mère désolée.

Chapron avait renoncé au barreau pour le journalisme, il y a tantôt sept ans. Un peu hésitant d’abord, il n’avait pas tardé à trouver sa forme et à conquérir une autorité que beaucoup d’autres cherchent vainement après une longue carrière.

Chapron a écrit au Figaro, au Gaulois, à Gil Blas et à l’Evénement, où ses articles étaient très remarqués.

Il y a six ans, Chapron avait éprouvé une déception à laquelle il fut très sensible.

M. Constans, alors ministre de l’intérieur, lui avait promis de le nommer chevalier de la Légion d’honneur, le 14 juillet. Sa promotion fut annoncée dans plusieurs journaux, et le nom de Chapron fut remplacé à la dernière heure.

Il m’exprima, à plusieurs reprises, le chagrin que lui avait causé cette mésaventure.

Ces derniers jours, je pensai que ce ruban tant désiré pouvait rendre le calme à ce pauvre désolé frappé dans la force de l’âge et dans la faiblesse du tempérament, au moment même où le succès incontesté allait faire heureuse sa vie et celle de sa mère.

J’en parlai à de nos meilleurs confrères, Paul Strauss, et il fut convenu que nous ferions les démarches nécessaires pour obtenir un résultat.

Avant-hier, à dix heures du matin, je recevais la lettre suivante :

« Mon cher confrère et ami,

» J’ai vu M. Waldeck-Rousseau, que j’ai trouvé bien disposé. Vous pouvez annoncé à votre ami Léon Chapron qu’il sera compris dans la promotion du 14 juillet…

 » Paul Strauss. »  

Je saisis une feuille, et, à la hâte :

« Mon cher camarade, cette fois, ça y est. Nous avons la parole de Waldeck-Rousseau, — et celui-là la tient.

» Il y a sept ans, tu étais si bas que ta mère te fit administrer, et tu en es revenu. J’espère que le ruban rouge produira le même effet. »

Puis, pour frapper ses yeux et égayer son lit de douleur, je collai au milieu de la lettre un morceau de la Légion d’honneur.

Il n’y avait pas une heure que le pli était jeté à la boîte, que l’affreuse nouvelle nous était apportée par le professeur Ruzé, habitant de Bois-Colombes. Chapron était mort la veille à dix heures du soir !…

Et je pensai, le cœur brisé, que c’était sa pauvre mère qui décachèterait la lettre !… Je m’arrête, les yeux pleins de larmes… Aux heures de tristesse, j’avais trouvé en Chapron un défenseur ardent, un ami dévoué. Depuis trois ans seulement, il était heureux. Après les agitations d’une jeunesse inquiète, le travail lui avait donné le calme, la tranquillité bourgeoise dans un milieu de braves cœurs qui l'affectionnaient… Il était fier de sa sagesse. il aimait à dire, quand on voulait le retenir, le soir : Je vais chez maman…, ou : Maman m'attend !…

Chapron était en pleine maturité de talent. Quelques années encore, et, débarrassé des exigences du journalisme, il aurait certainement écrit son nom sur un vrai livre, sur une œuvre originale et puissante, car il y avait en lui une force supérieure à celle dont on n'a eu que des miettes.

Un souffle a renversé tout cela.

Aurélien Scholl. 

Les obsèques de notre ami Léon Chapron seront célébrées demain jeudi, à dix heures et demie, à Bois-Colombes. - Départ de la gare Saint-Lazare à 10 h. 05.



LES PROPOS DU BOULEVARD

LA POLITIQUE


La Chambre a pris en considération une proposition de M. Constans, tendant au rétablissement du scrutin de liste. Preuve nouvelle et toujours humiliante que l'histoire est un éternel recommencement.

Lorsque le ministère Gambetta demanda la substitution du scrutin de liste au scrutin d'arrondissement, il ne faisait que revenir aux traditions oubliées de la Révolution. C'était, du reste, le vœu du pays. On aspirait à remplacer le scrutin aristocratique du fief électoral par le scrutin démocratique de la liste : les intérêts généraux d'une vaste région prenaient ainsi, avec le programme, le pas sur les intérêts particuliers du bourg et sur l'influence du personnage important de l'endroit ; on faisait tort aux célébrités du village ; mais on favorisait les capacités réelles et indépendantes : par là même, on affranchissait le corps élu des misères d'une sujétion sans dignité aux exigences mesquines d'une circonscription trop étroite : on élevait les Assemblées politiques.

Il se trouva alors que de profonds politiciens virent la République en danger : la proposition de M. Gambetta n'était, à leurs yeux, que de l'arme d'une ambition machiavélique. La chose était claire : M. Gambetta aspirait à la dictature. Cela se dit sur les bancs de l'extrême gauche ; cela se répéta dans les rangs de la droite : on s'émerveilla de la lucidité de nos prophètes, et le ministère Gambetta tomba sous le vote d'une coalition.

Politique vaillante de l'esprit de parti ! La proposition de rétablissement du scrutin de liste était repoussée : il y faut revenir aujourd'hui : les prophète gardent le silence ; le danger a disparu. Mais nous avons perdu trois ans.

La Chambre sera-t-elle bien inspirée ? Voudra-t-elle, cette fois, voter une réforme qui s'impose ?

Cela est à croire, si les politiciens ne s'en mêlent pas.

Pison. 

Demain jeudi, 29 mai, à 2 heures, courses au Bois de Boulogne.

pronostics de clubman

Prix de Montgeroult. - Ecurie Blanc et Recenseur.

Prix de Senailly. - Salomé.

Prix de Lonray. - Sigurd.

Prix de Malleret. Florestan, le Japonais.

Prix de Victot. - Clio, Beauregard.

Prix de Royallieu. - Taillefer, Ecurie Berteux.

C'était hier le quatrième anniversaire de l’inauguration du buste de Corot, devant les paisibles étangs de Ville-d'Avray où se mirent les grands arbres ombreux. Par la chaude journée ensoleillée d'hier, une foule considérable de peintres et de littérateurs étaient venus rendre hommage à l'homme simple et bon qui fut en même temps que le peintre, le poète de la Nature. Il y avait là MM. François Coppée, Mistral, Armand Silvestre, Paul Arène, Alphonse Lemerre, de Heredia, Mariéton, Auguste Marin, Léon Duvauchel, André Theuriet, Ph. Burty, Karl Daubigny, Charles de Sivry, les frères Lionnet, Isambert, de Quivogne de Montifaud, Etex, Stevens, Guillaumet, André Lemoinne, Montrosier, Raphaël Colin, Dantan, Pointelin, Gerspach, Giraudet, Méry, Dierx, Zuber, Pille, Steinhel, Achille, Mir, le félibre de Carassonne, Marius Girard, Valère Bernard, Willette, etc.


L'hommage rendu à Corot a été simple, naïf, comme il convenait vis-à-vis de l'ombre du bonhomme. Il n'eût pas toléré, s'il eût pu être là, l'aimable vieillard, qu'on pleurât et qu'on fit d'une fête une cérémonie commémorative.

C'est au son des tambourins et des tutus, dirigés par Sivry, c'est au chant des vers et des refrains qu'on s'est réuni, dans l’après-midi.

Arène a prononcé quelques paroles pleines d'abandon ; Burty, lui-même, a oublié qu'il était inspecteur des beaux-arts, et a abandonné tout solennité ; Coppée a lu ses vers ; Mistral a chanté une chanson. Puis, le soir, en un banquet intime qui a eu lieu chez le jovial Cabassut, encore un Méridional d'opérette, - Alphonse Lemerre, etc, et divers convives ont bu à la gloire de Corot.

L'assemblée générale des membres fondateurs de la Société de protection des Alsaciens-Lorrains, présidée par M. Marenberger, vice-président, en l'absence du comte d'Haussonville.

Le total des dépenses se chiffre à 3,200,000 francs ; les avances remboursées aux comités de province qui ont servi à secourir 5,412 personnes, sont montées à 16,479 fr. 60. La somme de 29,662 fr. 20 comprend les sommes en argent et les bons de nourriture qui ont servi à assister 4,465 familles.

L'orphelinat du Vésinet, aménagé pour recevoir 40 enfants, a coûté 14,991 fr. 05 dans l'année, et les recettes en dehors du capital se sont élevées à 97,591 fr. 70.

Les membres de la commission des fêtes publiques se réuniront, très prochainement, à l'Hôtel-de-Ville, à l'effet d'arrêter le programme de la fête du 14 juillet. Ces messieurs attendent la convocation du ministre de l'intérieur.

On parle déjà, pour ce jour-là, de la remise de drapeaux à tous les bataillons scolaires de la capitale.

A ce sujet, une feuille réactionnaire fait remarquer avec ironie que l’anniversaire de la Bastille tombe la veille du terme… de la monarchie.

Ce à quoi ne songe pas la bonne feuille en question, c'est que le 14 juillet 1789 était également la veille du terme… de la monarchie.

Il s'est passé.