Page:L'Écho des feuilletons - 1844.djvu/101

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dresser encore à Mikoa. Parfois elle sentait dans son cœur un grand regret d’avoir ainsi agi avec lui et de n’avoir pas récompensé l’amour qu’il lui portait. Mais elle était possédée par une sorte de folie divine, et elle agissait sans volonté. Elle dit donc à Mikoa qu’elle voulait partir avec l’étranger, et elle le pria de les conduire à bord du navire, le soir qui précédait son départ.

« En entendant ces paroles, Mikoa resta désolé. Puis il s’écria : « Tu veux donc que nous mourions, ta mère et moi, puisque tu parles de partir ? » Nada répondit : « L’étranger veut partir ; il faut que j’aille avec lui. » Et Mikoa s’en retourna dans sa cabane, pleurant et se frappant la poitrine à coupa redoublés.

« Il revint le lendemain, et, s’asseyant à côté de Nada, il lui dit : « Reste avec nous, chère sœur, avec celle qui t’a portée dans ses flancs, qui t’a nourrie de son lait ; avec moi, qui t’ai aimée du jour où je t’ai vue, qui t’ai servie sans cesse avec joie, et qui donnerais ma vie pour toi. Fleur de la vallée, n’abandonne pas le lieu qui t’a vue naître ; les arbres qui t’ont couverte de leur ombre, et l’air qui t’a parfumée. Pourquoi nous quitter ? Qui de nous t’a regardée d’un œil défavorable ? Quel discours a blessé ton oreille ? Quelle épine a jamais ensanglanté tes beaux pieds ? Il est peut-être des terres plus grandes qu’Oahou, et des sommets pi us élevés que le Pasli ; mais, crois-moi, tu ne trouveras nulle part des cœurs plus amis et des bras plus ou verts que parmi nous. Et, tu le sais, le génie de la sagesse n’a pas proclamé le plus heureux celui qui habite la plus belle cabane ou qui possède les plus nombreux troupeaux, mais celui qui est le plus aimé. » Nada, l’interrompant, lui dit : « Alors, je serai heureuse, car nulle femme ne sera plus aimée que moi. »

« Mikoa baissa la tête, et dit : « Que les dieux répandent toutes leurs bénédictions sur toi ! Ce soir je viendrai vous chercher, et je vous conduirai dans ma barque à bord du grand bateau qui part demain, parce que tous ses vases son t remplis d’eau fraîche. » Il tint sa promesse. Mais après avoir mené les deux amants au navire, où ils furent bien accueillis, il se plaça à peu de distance, et, retirant ses rames de l’eau, il se laissa ballotter au gré des vagues. De temps en temps il élevait la voix dans le silence de la nuit, chantant tour à tour tous les chants de notre île. Il espérait ainsi attendrir le cœur de Nada, et la faire revenir à

son pays et à sa famille. Puis, voyant que rien ne pouvait ébranler la résolution de sa fiancée, il se mettait à implorer les dieux pour les voyageurs.

« Quand vint l’aurore, le capitaine donna l’ordre du départ, et le vaisseau, déployant ses grandes ailes, commença à gagner la haute mer. Alors Mikoa, saisi de désespoir, voulut partir aussi. Il sauta sur ses rames, et les agitant avec fureur, il essaya de suivre et d’atteindre le vaisseau. Mais il ne le put pas. La grande machine, fuyant rapidement, le laissa bien loin derrière elle. Mikoa voyant que tous ses efforts étaient inutiles, jeta ses rames, et se mit à faire des signes au vaisseau, poussant des cris lamentables. Mais on ne vit pas ses gestes, et l’on n’entendit pas sa voix. Du moins le navire continua sa marche sans s’arrêter un instant. Ma mère m’a dit depuis qu’au moment du départ elle était allée se cacher dans le fond du navire pour ne pas entendre les adieux de son fiancé et ne pas voir disparaître les montagnes de sa patrie. »

Ici Razim fit encore une pause ; puis, fixant ses regards sur Maurice, elle s’écria :

— La France ! votre pays ! ah ! je la connais et je sais combien l’on y souffre. C’est là que ma mère a vécu.

« L’étranger ne pouvait retourner dans sa patrie, à cause du crime qu’il avait commis ; mais il lui était permis d’en faire venir de grandes richesses. Il alla donc en France, dans une ville grande et superbe. Il y habita avec sa compagne une cabane vaste et bien ornée, où il y avait une foule de serviteurs richement vêtus, qui passaient tout leur temps à accomplir tous les désirs de leur maître. Celui-ci conduisait tous les jours Nada dans de belles promenades, où elle voyait toutes sortes d’objets brillants, et des hommes et des femmes habillés avec magnificence ; et tous les soirs dans des cabanes immenses, éclairées par un grand nombre de flambeaux qui jetaient une lueur plus vive que celle du soleil, et où l’on exécutait, comme ici dans nos fêtes, des danses gracieuses accompagnées de chants et de musique. Nada voyait bien d’autres merveilles encore, et comme tout était nouveau pour elle, elle y prit pendant quelque temps un vif plaisir. Mais bientôt elle sentit le besoin de reprendre la vie d’amour et de tranquillité qu’elle avait connue dans son pays. Elle s’éloigna donc peu à peu de la foule et chercha à en éloigner aussi son amant. Elle y réussit d’abord. La première fois qu’elle lui parla de re-