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eût commandé. Ainsi personne ne connaissait l’endroit où le fugitif reposait sa tête.

« Au commencement de la nuit Mikoa alla le chercher, le conduisit à la cabane et se retira. La mère de Nada veillait encore. Quand elle vit l’étranger, elle fut saisie d’une grande frayeur et elle s’écria : « Il y a un malheur sur ma cabane ! » Nada voulut la rassurer et lui dit : « Ma mère, l’étranger garde le malheur pour lui seul et ne donne que le bonheur. Depuis que je l’ai vu, je suis heureuse, même quand je souffre. » La mère de Nada s’écria encore : « Nada aime l’étranger ! J’ai perdu ma fille ! J’ai perdu ma fille ! b Et elle sortit en sanglotant.

« L’étranger crut que Nada allait la suivre ; mais elle resta immobile jusqu’à ce qu’elle n’entendit plus la voix de sa mère. Alors elle se retourna vers l’étranger, le regarda fixement et lui toucha le cœur de sa main droite, pour lui demander s’il l’aimait. Il la prit dans ses bras et la serra sur son cœur. De ce moment, Nada fut décidée à ne jamais se séparer de l’étranger. Elle partagea avec lui sa couche et la cabane que sa mère avait abandonnée, car sa mère ne revint plus. Elle alla frapper à la porte de Mikoa, qui lui donna sa bonne chambre et la servit comme s’il eût été son fils.

« Tous les jours, tant que l’étranger demeura dans l’île, Mikoa alla voir Nada, et il l’implorait, non pour lui (quoiqu’il souffrit beaucoup, il ne se plaignit jamais), mais pour la mère de Nada. Elle lui répondait : « Que veux-tu que je fasse pour ma mère ? Elle hait celui que j’aime, et elle me hait aussi depuis que je l’aime. Pourquoi ? Mon cœur n’est pas entre ses mains, et je peux le donner à l’homme que les génies ont comblé de leurs dons. Que ma mère renonce à son injuste colère, et elle me retrouvera aussi tendre qu’autrefois ; mais je ne me séparerai pas de celui auquel est attachée ma vie. Mikoa s’en retournait donc tous les jours sans avoir rien obtenu, et désolé dans son cœur. Mais il ne pensait jamais à se venger, quoiqu’il l’eût pu ; s’il était allé dire au prêtre que sa fiancée avait manqué a ses engagements, ma mère et son complice auraient péri par le feu. Telle était la loi. Mas Mikoa ne rendait jamais le mal pour le mal. Au contraire, il aidait Nada à cacher sa faute, et il lui fournissait toutes les choses dont elle avait besoin pour elle et pour l’étranger.

« Plusieurs mois se passèrent ainsi. L’étranger, à qui Dieu avait donné un esprit ouvert, avait appris notre langue, et il entretenait Nada de mille choses merveilleuses. Elle ne se lassait pas de l’écouter, et, quand il avait fini de parler d’une chose, elle lui disait : « Parle-moi d’une autre. » Ainsi elle s’accoutumait à ses pensées et à ses discours ; elle apprenait à comprendre d’autres mœurs que les nôtres, et se mettait à aimer un pays qui n’était pas le sien.

« Un jour, des voiles parurent de nouveau à l’horizon. Nada crut que c’était le même navire qui revenait pour chercher encore l’étranger, qui avait commis un crime très grand parmi les Européens. »

— Quel crime ? demanda Maurice.

— Dans un moment de colère, répondit Razim, il avait frappé le chef du navire qui le menaçait, et il aurait été pour cela mis à mort à son retour dans sa patrie, s’il n’avait pas trouvé le moyen de s’échapper.

— Savez-vous quels étaient son nom et son pays ?

— Il était Anglais et se nommait sir Robert.

« Lorsque ma mère lui eut annoncé l’arrivée d’un navire, il resta calme et répondit que ce n’était certainement pas le sien, et que peut-être même il était d’une autre nation. Pourtant, comme ma mère le suppliait de veiller à sa sûreté, il consentit à passer une nuit dans la caverne. Mais le lendemain matin, étant sorti, il examina le navire qui était entré dans la rade, et reconnut qu’il appartenait à une nation qui n’était pas la sienne. Alors il alla trouver Nada, ivre de joie et lui proposa de l’emmener avec lui dans un des plus grands et des plus beaux pays de l’Europe, où ils vivraient, disait-il, tout-à-fait heureux au milieu de biens dont elle ne pouvait pas soupçonner l’existence. En entendant ces paroles, Nada fut très émue et sembla hésiter. Comme l’étranger la pressait vivement, elle lui dit : « M’aimeras-tu toujours ? — Toujours, répondit-il avec transport. » Elle lui dit : « Tu ne me quitteras jamais ? — Jamais » répondit-il encore. Elle lui dit alors : « Va donc ! et je te suivrai jusqu’où finit le monde. »

« L’étranger fut joyeux ; mais, pour partir, il fallait une barque, et Nada ne pouvait en emprunter une, pendant le séjour du navire, sans exciter les soupçons. Elle fut donc obligée de s’a-