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— Très bien, dit le prince ; et il passa dans sa chambre à coucher.

Le lendemain, pendant qu’Angelo galopait vers la Normandie, voici ce qui se passait à l’hôtel Formose.

Le prince était dans son cabinet de travail, sorte de laboratoire secret, où nul étranger ne pénétrait, et dont il avait toujours soin de garder la clé sur lui ; il réfléchissait à son plan de conduite, et sondait toutes les difficultés de son entreprise. Une chose l’inquiétait surtout, il aurait voulu connaître les sentiments de Mlle d’Orion pour son cousin, M. Eugène de Larcy, dont la lutte, dans cette grande affaire, pouvait être un rude obstacle aux projets du prince. M. de Larcy, en sa qualité de parent de la jeune personne, avait toutes les chances en sa faveur, il était bien placé dans le monde, il voyait s’ouvrir devant lui une carrière brillante ; il n’était pas mal, au contraire, et ses assiduités auprès de sa cousine le désignaient depuis longtemps comme le futur époux de Mlle d’Orion : heureusement qu’il n’avait que vingt-deux ans, c’est dire qu’il manquait de cette expérience, et disons le mot, de cette rouerie que Formose possédait à un si haut degré, mais il lui restait tant d’autres avantages. Il fallait donc que Formose, d’une façon ou d’une autre, se rendît maître indirectement de la conduite de ce jeune homme pour dominer plus facilement le cœur de Mlle d’Orion. Il cherchait un moyen ; là était la difficulté, lorsque tout-à-coup il se frappa le front et en fit jaillir une étincelle satanique.

Il se mit à songer à cette femme qui lui avait écrit la veille au soir : il se rappela sa beauté, son adresse, et toutes les qualités précieuses de cette sirène italienne. Dirigée par lui, elle pouvait devenir un instrument terrible ; il ne s’agissait que de s’emparer d’elle avant qu’elle fût connue à Paris. A Naples, la Zanetta avait fait fureur ; elle devait être belle encore, et l’éclat de sa beauté ne pouvait manquer de soulever autant d’enivrement à Paris qu’en Italie. Cette femme l’avait aimé éperdûment, et l’aimait peut-être encore assez pour obéir servilement à ses ordres. D’ailleurs, personne mieux que Formose ne savait exercer une domination calme et soutenue sur cette classe de femmes faciles, toujours prêtes à recevoir un maître.

— Tentons l’aventure, se dit-il.

Il sortit à pied de son hôtel, et, se jetant dans une voiture de place, il se fit conduire à l’adresse de la Zanetta Coradini. Arrivé à l’hôtel des Princes, il fut introduit dans un salon, où il resta seul pendant quelques minutes.

— Si elle allait être laide maintenant ! pensait-il ; elle est peut-être vieillie ! bah ! elle avait dix-sept ans quand je l’ai connue, et il y a quatre ans tout au plus. Il en était là de ses réflexions, lorsque la porte du salon s’ouvrit, et livra passage à une jeune femme de la plus éclatante beauté ; la splendeur de la jeunesse et la grâce brillaient sur son visage pur et régulier comme un camée antique. A l’aspect de cette ravissante créature, le prince ne put retenir un sentiment de joie qui se refléta sur ses traits.

— Cher prince, lui dit la Zanetta, en le faisant asseoir auprès d’elle sur une causeuse, vous ne m’avez donc pas oubliée ?

— Vous oublier ! moi ! dit Formose d’un air dégagé, allons donc, ma chère, vous ne le pensez pas. Et pourquoi avons-nous quitté Naples, s’il vous plaît ? Est-ce qu’il n’y a plus de fils de famille à dévorer dans ce fortuné pays ? La curée est-elle finie au-delà des Alpes ?

—Ah, bah ! répondit l’Italienne, c’est toute une histoire. Après votre départ de Naples, affreux ingrat ! j’étais inconsolable ; si j’avais su où vous trouver, je crois que je me serais mise à votre poursuite, eussiez-vous été au bout du monde.

— Ma foi, tu as bien fait de venir, car tu peux me rendre un grand service.

— Parle, dit l’Italienne, je suis à toi corps et âme.

Formose reprit :

— C’est une haute mission politique que j’ai à le confier ; il faut que tu sois une grande dame, une très-grande dame ; tu auras équipage, domestiques, maison montée, et c’est moi qui serai ton caissier.

— Je ne comprends pas du tout, dit la Coradini, en allumant elle-même une cigarette.

— Tu me comprendras tout à l’heure. Te voilà donc une grande dame tout nouvellement débarquée à Paris ; tu vas aux spectacles, aux promenades, aux concerts ; tu te montres partout ; en quinze jours, tu deviens la lionne la plus renommée ; quarante jeunes gens sont à ta poursuite ; tu reçois trente déclarations par jour ; en un mot, tu fais un ravage effrayant.

— C’est ravissant ! s’écria la Zanetta transportée.

— Oui, mais voici le revers de la médaille : tu