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cience. Il stimulait la voracité de l’oiseau de proie, indiquait la marche à suivre, et préparait de longue main la débâcle et même le déshonneur de sa victime.

Le vicomte de Larcy n’avait jamais songé à réclamer la possession de la fortune qui lui revenait de sa mère. Il se contentait d’une assez forte pension que lui faisait le comte, et qui avait satisfait jusque-là à ses besoins et à ses fantaisies de jeune homme. Mais pour subvenir à l’entretien de sa passion ruineuse, le chiffre de l’allocation paternelle était beaucoup plus qu’insuffisant. Le jeune de Larcy ne voulait pas que son père eût le moindre soupçon ; il contracta des emprunts onéreux pour payer les bracelets, les colliers en diamants, les chevaux et les voitures qu’il offrait avec tant de bonheur à sa maîtresse. Plus le jeune homme donnait, plus la Coradini devenait insatiable, c’est la règle. L’exigence rapace de cette femme n’était plus un calcul, mais un instinct. Elle absorbait comme un boa ; seulement son appétit ne s’endormait jamais.

Un jour elle avait demandé au vicomte une magnifique parure exposée à l’étalage d’un joaillier. Celui-ci qui se trouvait sans argent, avait résisté ; la Coradini ne se regardait pas comme vaincue ; elle appela à son secours l’artifice de ses larmes, elle dit qu’elle n’était plus aimée, parla de sa réputation et de sa jeunesse sacrifiées au vicomte, et insinua adroitement que bien d’autres, si elle le voulait, s’estimeraient trop heureux de pouvoir lui offrir cette bagatelle, qui valait tout au plus vingt mille francs. M. de Larcy s’était senti ému et bouleversé à la vue de ces perles d’argent qui tombaient des beaux yeux de la sirène ; mais les derniers mots le firent bondir ; la jalousie s’éveilla furieuse dans son cœur ; il tomba aux genoux de l’Italienne, lui demanda pardon pour les larmes qu’il lui avait fait répandre, et lui promit la parure pour le soir.

M. le vicomte de Larcy avait été chez le juif Génins, le même dont nous avons parlé dans une autre histoire, et qui venait encore à cette époque au secours des fils de famille dans l’embarras. Malheureusement le vicomte devait déjà des sommes assez fortes à cet homme, qui refusa tout net de prêter les vingt mille francs. M. de Larcy se désolait. Le juif, le voyant disposé à tout, lui proposa un terme moyen. Ce terme moyen consistait en ceci : le jeune homme ferait une lettre de change, et mettrait au bas, comme simple garantie, l’acceptation de M. de Larcy le père. Le vicomte se récria, c’était un faux qu’on lui proposait ; jamais il ne consentirait à une telle infamie. Mais le Génins, qui réservait toute son éloquence pour ces moments difficiles, lui présenta la chose sous un aspect si différent, que le vicomte avait fait la lettre de change à six mois avec l’acceptation au bas, bien certain, du reste, qu’il retirerait avant le terme ce billet des mains de l’usurier, dût-il pour cela demander à son père la jouissance de la fortune maternelle.

Le soir, la Coradini se montrait à l’Opéra avec sa parure nouvelle, et soulevait par sa beauté et le luxe de sa toilette l’admiration de la salle.

Aussitôt l’affaire conclue, Génins avait livré, moyennant trente mille francs, la lettre de M. de Larcy à Berthold. Celui-ci l’avait immédiatement envoyée à Formose, qui se voyait plus que jamais maître de la situation.

Le comte de Larcy revint à Paris sur ces entrefaites.

Il se rendit, au débotté, au ministère des affaires étrangères, où il sollicita et obtint le rappel de son fils à son poste diplomatique.

Après quoi, il tomba chez le vicomte comme la foudre, et lui jeta ces terribles paroles : « Je sais tout, » alors qu’il ne savait que le quart de la vérité.

Le comte annonça à son fils qu’il allait retourner à Vienne : cette nouvelle fit pâlir le jeune homme, qui essaya pourtant de faire bonne, contenance, et finit par se soumettre.

M. le comte de Larcy revint à l’hôtel d’Orion. enchanté du succès de son intervention. Il croyait que Mlle Henriette ignorait l’amour du vicomte pour la Coradini, et comme il ne voyait dans cette intrigue qu’une folie passagère, dont l’absence ferait perdre le souvenir à son fils, il ne lui restait aucune inquiétude sur l’avenir de ses projets matrimoniaux. Hélas ! il fut bien détrompé : le soir de ce même jour, Mme de Veyle lui avoua qu’Henriette connaissait tous les détails de la conduite de son fils, et lui apprit en outre que la jeune fille aimait Formose, et que Formose l’aimait.

Le tonnerre serait tombé en éclats aux pieds