Page:L'Écho des feuilletons - 1844.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monde, à cet enfant abandonné à l’âge de deux ans, qu’il avait en vain cherché, et qui, lui aussi manquerait au lit de mort de son père.

En arrivant au château, le comte avait trouvé une lettre de Formose ; elle était ainsi conçue :

« Monsieur le comte,

« L’horrible malheur qui vous accable, et auquel, j’en atteste le ciel, je n’ai pris aucune part, même involontaire, me frappe aussi dans mes plus chères espérances ; je ne me dissimule pas que je serai toujours pour vous l’homme qui a causé la mort de votre fils. Je sais les obligations que m’impose cette fatale position ; je me mets donc tout entier à votre discrétion, Monsieur le comte, et je renonce, si vous l’exigez, à la main de Mlle d’Orion. Je ne parle pas de ma douleur, vous la comprendrez par la grandeur du sacrifice.

« Agréez, Monsieur le comte, etc.

« Prince Formose. »

Comme on le pense bien, cette affliction n’était rien moins que sincère ; malgré le prétendu chevaleresque dévoûment du prince, la mort de M. Eugène de Larcy pouvait ajourner les projets de mariage de Formose, mais elle le délivrait en même temps d’un rival et d’un juge.

Il avait joué son avenir sur une balle de pistolet, et la chance l’avait d’autant plus favorisé, qu’il avait tué son adversaire par l’infamie et le déshonneur, en conservant aux yeux de tous l’apparence de la grandeur, et de la générosité.

Dans les jours qui suivirent ce duel Formose affecta une sorte de tenue austère, un extérieur triste, qui répondaient, du reste, à la sourde agitation de cette âme inquiète poursuivie incessamment par le fantôme de ses crimes. Cependant, comme son amour pour Mlle d’Orion le dominait tout entier, et que ce caractère de fer ne savait pas plier sous le joug d’une volonté non satisfaite, et encore moins d’une passion profonde, il poursuivait dans le silence de sa pensée ses projets d’hymen avec la jeune fille de Blenneville, et s’occupait à effacer peu à peu les vestiges de sa vie passée. Il avait renouvelé sa maison après avoir fait une pension à ses anciens domestiques. La Coradini, cet importun complice, cet épervier lancé sur le jeune de Larcy, avait consenti, moyennant une forte somme, à repasser les Alpes. Quant à ses anciens compagnons échappés au naufrage de la dernière tenlative, et signalés à toutes les polices de l’Europe, ils devaient être perdus à tout jamais dans quelque fabuleuse contrée de l’une ou l’autre Amérique, ce rendez-vous de la flibusterie européenne. Berlhold seul, retiré dans une campagne des environs de Paris, réalisait dans le far niente d’une fortune honnête le hoc erat in votis, exprimé par lui au premier chapitre de cette histoire.

A Blenneville, le château présentait l’aspect le plus lugubre. La marquise était revenue à Paris ; Mlle d’Orion, par respect pour la douleur de son oncle, par un dernier sentiment de compassion accordé à la mémoire de son cousin, avait, dans un sublime sacrifice, refoulé tout au fond de son cœur les espérances de son amour, elle luttait à chaque heure contre l’image toujours présente de Formose.

Mlle d’Orion avait trop compté sur ses forces ; le feu de son amour la consumait lentement. Quelquefois M. de Larcy la surprenait rêveuse dans quelque allée solitaire du parc, essuyant à son approche une larme furtive, ou bien se sauvant, biche effarouchée, vers une nouvelle solitude.

Lorsqu’il eut reconnu chez sa nièce, à des symptômes qui ne trompent jamais les yeux les moins exercés, la persistance opiniâtre de cette sourde maladie, M. de Larcy, imposant silence à ses répugnances personnelles, pensa que l’heure du dévoûment avait sonné et qu’il devait consommer un douloureux sacrifice. Il écrivit à Mme de Veyle qu’il ne s’opposait plus au mariage de sa nièce avec le prince, et qu’il attendait au contraire la célébration de cette union avec impatience, afin de se retirer pour toujours loin du monde et de vivre tout entier au souvenir de son fils.

Le premier soin de Mme de Veyle, après la réception de la lettre du comte, fut de prévenir Formose des nouvelles dispositions de M. de Larcy. Le prince, au comble de ses vœux, partit le soir même de ce jour pour son domaine de Normandie.

Mlle d’Orion fut prévenue de l’arrivée de Formose par une lettre de la marquise.

La première entrevue de Formose et du comte fut glaciale de part et d’autre ; M. de Larcy avait éprouvé à l’aspect du prince une émotion pénible qui ravivait sa douleur.

Pourtant il ne revint pas sur sa détermination ;