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rai — Mais qu’importe ? s’écria-t-il brusquement au bout d’un instant, les oiseaux ont des ailes pour voler, l’homme a une âme pour désirer, et le monde va où le mène l’espérance. Espérons donc et allons.

Le navire toucha plusieurs points de l’Amérique méridionale, en s’avançant toujours vers le sud ; puis il doubla le cap Horn, et remonta vers le nord. Il arriva, après une longue et heureuse navigation, en vue des îles Hawaï, vulgairement appelées Sandwich. Maurice, qui s’était fait, sur la foi des voyageurs, une image ravissante des pays qu’il allait visiter, avait déjà éprouvé bien des mécomptes, et commençait à se désillusionner sur le charme des voyages, en voyant que la terre, le ciel et la mer, beaux partout, étaient à peu près partout les mêmes. Quant aux hommes, qu’il avait espéré trouver aussi différents par leurs mœurs que par leur physionomie, il s’apercevait avec ennui que le temps des grands contrastes et des nationalités tranchées était passé, que la monotonie et la civilisation envahissaient le monde de concert, et que l’heure s’approchait où les antiques coutumes et les usages caracttéristiques des peuples ne seraient qu’un souvenir.

Mais l’espoir lui revint de voir des choses bien nouvelles, quand il se vit à quelques lieues de ces îles que Cook avait découvertes, il n’y avait pas un siècle, et qu’il avait peintes comme un petit monde à la fois enchanté et inconnu : Il remercia sa bonne étoile, qui faisait relâcher le navire justement à Oahou, la plus belle île peut-être de toute la mer du Sud, et que les marins avaient surnommée le jardin de l’Archipel, et il s’apprêta de la meilleure foi du monde à s’étonner de tout et à tout admirer. À mesure qu’il approchait, cette disposition se confirmait davantage en se justifiant.

La nuit qui précéda le débarquement, il vit, des hauts sommets des montagnes, s’élancer des gerbes de feu de vingt cratères qui reflétaient leur éclat rougeâtre dans les eaux tranquilles de l’Océan ; et, le matin venu, il reconnut avec joie les pics grandioses sur lesquels la fumée flottait comme un panache, et qui n’avaient quitté leurs formes fantastiques et changeantes que pour prendre, dans l’immobile sévérité de leurs lignes, un aspect plus sublime encore. Peu à peu il distingua les bois qui pendaient à leurs flancs, les gorges qui s’enfonçaient dans leurs sombres anfractuosités, les torrents qui serpentaient à leurs pieds, et les plages blanches, baignées par la mer, où venaient s’appuyer leurs puissantes bases.

À ce spectacle magnifique, le jeune homme crut qu’il allait voir se réaliser tous ses beaux rêves de voyageur, et il ne rêva plus que costumes étranges, que danses guerrières, que festins homériques en plein air, et que fêtes primitives au milieu des bois. Pourtant la vue de quelques maisons semi-européennes, qui bordaient le port d’Houorourou, lui donna un commencement d’alarme. Mais il en revint bien vite, en se disant que ce n’était là qu’un accident inévitable, il est vrai, mais de peu d’importance, et que ce n’étaient pas quelques misérables établissements marchands qui pourraient ôter à l’île sa physionomie, et que jamais pays pittoresque n’avait manqué d’abords prosaïques.

Pendant qu’il faisait ces réflexions, le navire fit un salut de neuf coups de canon.

— Voilà qui doit faire un singulier effet à ces bons Sauvages, se dit Maurice. Ils n’entendent pas souvent, je pense, de pareille musique.

Mais à peine le vaisseau eut-il fini son salut, qu’une batterie, cachée derrière une touffe de cocotiers, le lui rendit avec une précision et une vigueur tout-à-fait européennes.

— Qui est-ce qui nous envoie cette bordée ? demanda Maurice au capitaine avec un profond étonnement.

— C’est l’artillerie de la garde royale, répondit celui-ci de l’air le plus naturel.

— El de quelle garde royale voulez-vous parler ? mon Dieu !

— Mais de la garde royale du roi des îles Hawaï, Sa Majesté Tamea-Mea III.

— Comment ! il y a ici de l’artillerie, des majestés et des gardes royales !

— Mais oui ; et même tout cela, dans ses proportions un peu microscopiques, n’est pas trop mal tenu. Vous verrez : cela vous fera plaisir.

— Grand merci, capitaine. Que le diable emporte ce maudit pays et son imbécile de roi qui s’avise d’avoir une garde royale et des pièces de canon ! C’en est donc fait : l’ennui va donc étendre son empire sur le monde entier. Il ne manque plus à ces gens-là que de boire du vin de Champagne et de tirer des feux d’artifice.

— Il est certain, dit le capitaine sans rien comprendre a la colère du jeune passager, que