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qu’il avait fait et aux conséquences que cela pourrait avoir.

Il se demandait si cette jeune fille, bonne et sincère, sans doute, méritait cependant le sacrifice qu’il serait peut-être obligé de lui faire, de son pays, de ses amis, de sa famille. Son ignorance et sa sauvagerie ne l’empêcheraient-elles pas de s’entendre jamais avec lui ? Et les profondes différences qui résulteraient de l’inégalité des éducations ne rendraient-elles pas impossible la durée d’un amour déjà ardent, mais né seulement de la veille ?

Telles étaient les questions, et bien d’autres encore, qu’il s’adressait à lui-même, et qu’il ne savait comment résoudre. Enfin, après plusieurs heures de réflexions agitées, il prit, comme à son ordinaire, le parti de penser à autre chose, et de laisser marcher les événements, en abandonnant aux circonstances le soin de tout décider.

Le lendemain, dès les premières lueurs de l’aube, il se mit en route pour la vallée, et il y arriva eu moment où le soleil paraissait au-dessus de la montagne, radieux, au milieu d’un ciel sans nuages. Il vit dans ce présage d’une belle journée un augure favorable pour sa destinée, et il se dirigea d’un pas léger et rapide vers la cabane. Il trouva la porte fermée, et frappa.

Mikoa vint lui ouvrir. Il avait l’air triste et sévère, et fit à Maurice un salut silencieux.

— Bonne journée, tayo, lui dit celui-ci d’un air un peu embarrassé. Où est Rasim ?

— Elle est ici ; elle repose.

— Serait-elle malade ?

— Elle est en proie à l’esprit ; elle n’a pas dormi de toute la nuit.

Maurice voyait Mikoa peu disposé à le laisser entrer, et, comme d’un autre côté il n’aurait voulu, pour rien au monde, s’en retourner sans avoir eu avec Razim l’entrevue dont ils étaient convenus, il restait à la porte, incertain de ce qu’il devait faire.

En ce moment, Razim se montra denière le vieux sauvage ; et, le poussant doucement, elle alla tendre, en souriant, la main à Maurice. Elle était très pâle, et son regard un peu fébrile annonçait qu’elle avait passé une nuit agitée.

Comme Mikoa la regardait avec inquiétude, elle l’embrassa cordialement et lui dit :

— Sois traquille, mon père ; je suis bien. Je vais sortir avec Maurice ; je veux lui parler seule !

Le jeune homme éprouva une sorte de commotion électrique en entendant Razim prononcer son nom pour la première fois.

— Va, ma fille, répondit Mikoa la sagesse habite dans ton cœur, et les bons esprits parlent avec toi. Je resterai dans la case pendant que tu entretiendras l’étranger. Que la route te soit agréable !

Razim partit, suivie de Maurice. Elle le menait vers l’endroit où était enterrée sa mère, le fit asseoir avec elle sur le lit de mousse où il avait passé la nuit de la funèbre cérémonie, et lui dit :

— C’est ici que repose Nada, la bonne, la forte, la sainte Nada, ma mère. J’ai passé la nuit sur la natte où elle est morte, voyant son image dans les ténèbres et entendant sa voix dans le silence. Je l’interrogeai sur ma destinée, et elle m’a répondu. Elle m’a répété tout ce qu’elle m’avait vait dit un soir pendant que l’orage grondait autour de notre case, et que, serrées l’une contre l’autre, nous écoutions siffler le vent et mugir le tonnerre.

Elle me disait :

« Chère enfant, il n’y a qu’un bonheur dans la vie, c’est d’aimer. Aime donc, ô ma fille, aime toujours ! Aime-moi tant que je serai avec toi ; mon cœur est capable de te suffire, de quelque affection que tu aies besoin.

« Quand Dieu m’aura séparée de toi, cherche un homme qui me remplace, qui t’aime comme moi, et aime-le comme tu m’auras aimée. Et quand cet homme t’aura donné des enfants, sur le visage desquels ton image se mêlera à la sienne, donne-leur tout le lait de ton sein et tout l’amour de ton cœur.

« Mais, quoi qu’il arrive, mon enfant, ne quitte jamais la vallée où tu es née ; si ton amant t’appelle vers les grandes terres qui portent les populations nombreuses et les villes immenses, ne le suis pas, parce qu’alors il ne t’aimera plus.

« Malheur à toi si tu as confiance dans l’homme à qui ne suffiront pas ton amour et ta solitude !

Et je ne puis douter de la vérité de ces paroles parce que ma mère n’a jamais menti.

— Mais votre mère pouvait se tromper, Razim, interrompit Maurice ; elle ne connaissait pas le pays où elle vous défendait d’aller.

— Ma mère ne parlait pas de ce qu’elle ne connaissait pas, repartit la jeune fille avec une tristesse enthousiaste. Tout ce qu’elle me racontait