Aller au contenu

Page:L'Écho des jeunes, Novembre 1891.djvu/3

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

CŒUR DE FILLE



La salle trépignait d’enthousiasme et rappelait sa première chanteuse avec des bravos, des épithètes de plus en plus élogieuses à mesure que les minutes s’écoulaient sans qu’elle reparût. C’était une surenchère de frénésie et de délire.

Puis, l’actrice s’obstinant à demeurer invisible, le rideau descendit, un calme triste envahit les banquettes. Ne l’avait-on pas assez fêtée, gâtée, adorée ? Était-elle indifférente à l’admiration ? Peut-être poussait-elle la modestie bien loin ? Qui sait même si un accident… mais le régisseur n’aurait pas ainsi laissé dans l’inquiétude la foule idolâtre.

Madame Héléna, tout simplement fatiguée par le poids de son rôle au troisième acte n’avait pas attendu les rappels et s’était précipitée dans sa loge pour délacer son corset qui l’étouffait.

Elle entrait, rouge, soufflant, laissant sa nature puissante la dominer un instant, lorsqu’elle aperçut, debout devant la fenêtre, un de ses poursuivants timides, un tout jeune homme de vingt-deux ans, qui pour la première fois, avait l’audace de se trouver là, près d’elle, présent. Il était humble, tremblant, beau, grand et fort.

Elle sourit.

— Monsieur Victor de Ridel, n’est-ce pas ?

— Oui, madame.

Elle lui indiqua le canapé.

Il s’assit pour se mettre à l’aise, mais, comme elle ne l’interrogeait plus, il garda le silence, la gorge oppressée.

Héléna, rayonnante de santé dans sa chair longtemps prodiguée aux baisers des abonnés, avait la coquetterie de se refuser à certains hommes pour le plaisir de les voir souffrir. Elle les choisissait beaux et riches et se plantait avec orgueil devant eux dans sa toute puissance de tentatrice, certaine de leur résister, se vengeant