m’aime de même et qui peut faire mon bonheur, une jeune fille qui quelquefois aura peut-être refusé vingt autres partis pour moi ? Quel est, mon cher Stéphane, quel est le père assez déraisonnable, assez peu doué de jugement pour en agir ainsi ? Quel est le père qui se laissera guider par un orgueil assez mal placé, par un intérêt assez sordide, pour abandonner son fils parce qu’il se mariera avec une jeune et tendre fille qui n’aura peut-être d’autre défaut que le malheur d’une naissance obscure, ou d’une fortune médiocre ?
— Cet homme déraisonnable, mon cher Émile, dit Stéphane en hésitant, vous le trouverez dans mon père.
— Votre père !
— Oui, Émile, mon père ; et s’il m’est permis de le dire, c’est là son seul défaut ; il est trop épris de lui-même, trop fier de son origine et de sa fortune ; tellement fier que si j’osais me marier contre sa volonté, il me retirerait d’abord son amitié qui n’a pas de bornes pour moi, et serait capable de me déshériter.
— Vous m’étonnez, mon cher Stéphane, votre père… Pardonnez-moi ce que je viens de dire…
— Vous avez bien dit, Émile, très bien dit ; je suis de votre avis, et malgré cela, vous le dirais-je ? je crois que je laisserais une fille que j’adorerais pour conserver les bonnes grâces de mon père.
— Vous ne le pourriez jamais, j’en suis persuadé.
— Jamais ! mais que me conseilleriez-vous donc de faire si je me trouvais dans un pareil dilemme ?
— Je serais bien en peine, Stéphane ; je crois qu’alors votre propre conseil vaudrait mieux que celui de tout autre.
Stéphane s’appuya le front sur le dossier d’une chaise et sembla anéanti dans de profondes réflexions ; puis se relevant tout à coup et jetant sur Émile un regard confus et douloureux :
— Je ne vous le cacherai plus, mon cher Émile :