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LA FILLE

on a de l’argent, on a tout avec aux yeux du monde. Mais, par exemple, Élise avait plus d’esprit, plus de jugement que toutes ces demoiselles orgueilleuses qui n’ont quelquefois d’autre mérite que celui de la fortune, d’une fortune ordinairement mal acquise, aux dépens des pauvres.

« Elle m’aimait tant, elle me caressait tant que j’en étais parfois tout honteuse ; nous étions toujours ensemble ; tenez, pour bien dire, nous étions comme les deux doigts de la main, vrai comme j’vous l’dis ; aussi toutes les petites filles du voisinage en étaient devenues jalouses ; chaque fois qu’elles me rencontraient, elles me disaient : « T’es ben heureuse, la Julienne ; j’voudrais ben être à ta place, la Julienne, » et mille autres choses pareilles qui me gonflaient et me faisait apprécier encore plus le bonheur que je goûtais auprès d’Elise.

« Pauvre Élise, dit Julienne en se croisant les mains, oh ! je donnerais bien d’quoi pour la voir à présent ! Comme elle doit être changée ! comme elle doit être triste ! Et sa mère, là… là… qui mène une vie aussi misérable, comme ça doit lui faire de la peine, elle qui est si scrupuleuse, si sage ! Mais tenez, vous voyez bien, Helmina, je ne puis croire que Mme  La Troupe soit aubergiste, elle qui était si vertueuse ! Pourtant, ajouta Julienne avec résignation, quand on tombe de si haut, ça donne du désespoir, et puis on ne sait pas où se jeter ! pas vrai, Helmina ?

— Oui, Julienne, oui, vous avez raison ; mais continuez.

— Il y avait deux ans que nous vivions ainsi, reprit Julienne, lorsque M. La Troupe tomba malade. J’ai entendu dire à ma mère que c’était d’avoir trop travaillé.

« Je le crois bien ; c’était un homme aussi que ce M. La Troupe ; ça n’arrêtait pas plus que l’eau de la rivière. Vous pouvez penser s’il était soigné un peu ! Bonne sainte Anne du bon Dieu, quand j’y pense encore ! Tenez, il avait six médecins à ses trousses, vrai comme j’vous l’dis ; et puis dans la