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LA FILLE

pour quelque cause ? Enfin t’nez, j’connais la vieille, elle est fameuse pour les histoires : elle en fera une qu’ils goberont comme du sucre du pays. Quant à nous, si nous n’entendons pas de signal, notre plus court parti sera de décamper, quitte à recommencer un autre jour et d’une autre manière.

— Bravo, bravo ! s’écrièrent tous ensemble Lampsac, Mouflard et Bouleau.

— Et combien y aura-t-il à gagner dans cette affaire ? demanda Lampsac.

— Bah ! la menue bagatelle d’une couple de mille louis en argent et peut-être autant en effets ; c’est toujours ça d’pris en s’amusant.

— Bravo ! bravo !

— Vous y êtes donc ?

— Nous y sommes.

— À merveille ! Lampsac, du rhum, mille flambes ! du rhum, buvons à notre nouvelle entreprise. Vive, vive maître Jacques, notre bon chef !

Et les brigands répétèrent : Vive maître Jacques, notre bon chef ! et firent de si nombreuses libations qu’ils tombèrent bientôt à la renverse et dormirent aussi profondément que s’ils venaient de faire une bonne action.

Nous profiterons de ce temps pour donner une idée de leurs portraits et de leurs caractères.

Le père Munro avait environ cinquante ans. Ses cheveux blanchis trop tôt par le vice et le libertinage, descendaient en longues mèches sur son large front où l’on apercevait les traces de la décrépitude la plus basse, l’empreinte de l’ivrognerie la plus dégoûtante. Sa poitrine creuse et velue faisait continuellement entendre un râle sourd et pulmonaire. Ses traits étaient contractés par une audace effrénée, une cruauté révoltante ; ses grands yeux bleus, quoique à demi-fermés, ne portaient que des regards farouches et égarés, ses lèvres blanches laissaient apercevoir en s’entr’ouvrant des mâchoires nues et serrées l’une contre l’autre par l’habitude d’une férocité brutale ; ses longues mains dé-