Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/109

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nez) ou tout simplement comme une chose digne de la curiosité publique.

L’assesseur de collège se sentit complètement découragé. Distraitement il abaissa les yeux sur un journal où se trouvait l’indication des spectacles du jour : en y lisant le nom d’une artiste qu’il connaissait pour être jolie, sa figure se préparait déjà à esquisser un sourire et sa main tâtait sa poche, afin de s’assurer s’il avait sur lui un billet bleu, car selon l’opinion de Kovaliov, des officiers supérieurs tels que lui ne pouvaient occuper une place d’un moindre prix ; mais l’idée du nez vint se mettre à la traverse et tout gâter. Le fonctionnaire lui-même semblait touché de la situation difficile de Kovaliov. Désirant soulager quelque peu sa douleur, il jugea convenable d’exprimer l’intérêt qu’il lui portait en quelques paroles bien senties :

– Je regrette infiniment, fit-il, qu’il vous soit arrivé pareille mésaventure ! N’accepteriez-vous pas une prise ?… cela dissipe les maux de tête et les dispositions à la mélancolie, c’est même bon contre les hémorroïdes.

Et ce disant, le fonctionnaire tendit sa tabatière à Kovaliov en dissimulant habilement en dessous le couvercle orné d’un portrait de je ne sais quelle dame en chapeau.

Cet acte, qui ne cachait pourtant aucun dessein malveillant, eut le don d’exaspérer Kovaliov.

– Je ne comprends pas que vous trouviez à propos de plaisanter là-dessus, s’écria-t-il avec colère. Est-ce que vous ne voyez pas que je manque précisément de l’essentiel pour priser ? Que le diable emporte votre tabac ! Je ne peux pas le