cerveau ! Malheureusement, cela m’est impossible. Des pensées, des souvenirs obsèdent mon esprit. Il est vrai que cela ne durera pas longtemps : bientôt arrivera la fin. Quelques lignes dans les journaux... que nos pertes ne sont pas considérables... tant de blessés... un volontaire, nommé Ivanoff, a été tué... Non, on n’écrira même pas le nom ; on dira simplement : un seul tué... Un seul troupier... Et je songe à certain petit chien...
Un vrai tableau se représente nettement à mon imagination. C’était il y a longtemps : du reste, tout, toute ma vie, cette vie où je n’étais pas encore couché ici, les jambes brisées, se passait il y a si longtemps !... Je marchais dans une rue ; un groupe de curieux m’arrêta. La foule regardait silencieusement quelque chose de blanc, couvert de sang et poussant des cris plaintifs. C’était un beau petit chien ; un tramway lui avait passé dessus. Il mourait- comme je meurs maintenant. Un concierge fendit la foule, prit le petit chien au collet et l’emporta. La foule se dispersa.
Y aura-t-il quelqu’un pour m’emporter ? Non, reste couché et meurs. Et cependant comme la vie est belle ! Le jour où le malheur arriva au petit chien, j’étais heureux. Je marchais dans une sorte d’enivrement, et il y avait de quoi. Vous, mes souvenirs, ne me tourmentez pas ! Laissez-moi en paix ! Bonheur passé, douleurs présentes... J’aimerais mieux n’avoir connu que des douleurs, ne pas être tourmenté par des souvenirs qui m’entraînent malgré moi à des comparaisons. Ah ! bonheurs passés, beaux rêves évanouis ! Vous êtes pires que des blessures.