Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/302

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l’eau, ma vie, mon salut, le sursis de ma mort. Mais je ne m’en aperçois que lorsqu’il ne reste pas plus d’un demi-verre d’eau : le reste a disparu dans la terre avide et sèche.

Puis-je me rappeler la stupeur qui s’empara de moi après cet horrible incident ? Je restais immobile, les yeux à demi clos. Le vent changeait tout le temps cl tantôt m’apportait de l’air frais cl pur, tan loi de nouveau l’odeur de la pourriture. Mon voisin était devenu ce jour-là plus horrible qu’aucune description ne saurait l’exprimer. À un moment donne, lorsque j’ouvris les yeux pour le regarder, je fus pris d’épouvante. Son visage n’existait plus. La peau s’en était détachée. Le terrible rictus des os, le rictus éternel, me semble plus hideux, plus affreux que jamais, quoique j’eusse eu plus d’une fois l’occasion de tenir dans mes mains des crânes, et de préparer des têtes entières. Ce squelette en uniforme, avec des boulons luisants, me fit frissonner.

« C’est la guerre, pensais-je ; voilà son image. »

Le soleil chauffe et brûle comme auparavant. Mes mains et mon visage sont brûlés depuis longtemps, J’ai bu tout le restant de l’eau. J’étais tellement tourmenté par la soif que malgré ma résolution de boire une gorgée, j’avais avalé le tout d’un seul coup. Ah ! pourquoi n’ai-je pas hélé les cosaques, lorsqu’ils étaient si près de moi ? Les cavaliers eussent-ils même été des Turcs, mieux eût valu pour moi. Car ils m’auraient torturé pendant une heure, deux heures, tandis que maintenant, je ne sais pas combien de temps encore je resterai couché ici à souffrir. Ma mère, ma chérie ! Tu arracheras les tresses