Page:L'âme russe, contes choisis, trad Golschmann et Jaubert, 1896.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

grises, tu frapperas de la tête contre le mur, tu maudiras le jour où tu m’as mis au monde, tu maudiras tout l’univers pour avoir inventé la guerre si fatale aux hommes.

Mais, toi et Macha, vous n’apprendrez probablement pas mes souffrances. Adieu, ma mère, adieu, ma fiancée, mon amour ! Ah ! comme c’est pénible, comme c’est douloureux ! Quelque chose m’étreint le cœur.

Encore ce petit chien blanc ! Le concierge n’en eut pas de pitié, il lui broya la tête contre le mur, et le lança dans une fosse où l’on jetait les ordures et les détritus. Mais il était encore vivant et il souffrit encore pendant vingt-quatre heures. Moi, je suis plus malheureux que lui, puisque je souffre déjà depuis trois longues journées. Demain, c’est le quatrième, puis le cinquième, le sixième... Mort, où es-tu ? Viens ! viens ! Prends-moi !

Mais la mort ne vient pas, et ne me prend pas. Et je suis couché sous un soleil terrible, je n’ai pas une gorgée d’eau pour rafraîchir ma gorge enflammée, et le cadavre m’infecte. Il est complètement pourri. Des myriades de vers en tombent. Comme ils grouillent ! Lorsqu’il sera dévoré, et qu’il n’en restera que les os et l’uniforme, alors mon tour viendra. Et je serai comme lui.

Le jour se passe, la nuit se passe. Toujours la même chose. Le matin arrive. Toujours la même chose. Encore un jour se passe...

Les buissons s’agitent et bruissent comme s’ils parlaient doucement.

— Tu mourras, tu mourras, tu mourras, murmurent-ils.