Page:L'Art Social, No 3, Septembre 1896.djvu/11

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ment spontané sans la propice influence d’un nouveau milieu* A une minorité d’élite seule, il est donné d’acquérir cette conscience intime de l’inviolabilité de l’individu. Mais la généralité, ce que certains appellent avec dédain « la masse », maintenue par sa situation dans un état de lutte économique permanent n’a ni le calme ni les loisirs nécessaires pour se lancer dans les spéculations métaphysiques de cet anarchisme intellectuel.

Or, c’est en vain que je cherche dans le livre de Mackay une esquisse quelconque d’un plan de propagande. Il compte sur la raison humaine seule qu’il pense devoir atteindre un jour par elle-même, chez chaque individu, un niveau assez élevé pour rendre vaine sur elle toute tentative de l’autorité. Dans combien de mille ans ?

L’Etat et l’Etat seul, dit l’auteur d’Anarchistes, est la cause du mal actuel. C’est sa suppression qu’il faut viser. Une fois l’Etat détruit, le travail devient libre, les privilèges, l’exploitation disparaissent ; « car le capital se voit dans l’impossibilité d’arracher au travail le tribut que celui-ci lui paie actuellement » (1). Dès lors, le capital, « forcé de prendre part à la lutte, s’utilise en prêts contre une rémunération que la concurrence réduira à sa plus simple expression ». Des banques se fondent en vue d’organiser le crédit et de fournir des moyens d’échange dans la multiplication desquels elles rivaliseront, et cette rivalité « rend impossible l’accumulation des capitaux dans les mains de celui-ci ou de celui-là ». L’échange des produits de même valeur est substitué à l’achat et à la vente. Par lui, chacun jouit du produit intégral de son travail, au lieu d’être dans la nécessité, comme aujourd’hui, de le vendre, c’est-à-dire de s’en laisser voler une partie. Enfin la concurrence du capital en rendra impossible la fructification qui tue le travail.

En attribuant à l’Etat la seule cause de nos maux, Mackay me paraît perdre de vue la raison d’être de cette institution. L’Etat assure la conservation des privilèges et des bénéfices illégitimes, considérés comme légalement acquis. Toute son organisation compliquée n’a d’autre but que de protéger l’exploitation de Thomme par l’homme, à la condition qu’elle se voile sous certaines formes hypocrites, et d’empêcher l’exploité de faire rendre gorge à l’exploiteur autrement que par des procédés analogues à ceux dont celui-ci use à son égard. En un mot, le rôle de l’Etat est, dans cette lutte sournoise, d’assurer au vainqueur le droit d’user et d’abuser du. produit de ses dois. C’est ce qu’on appelle sauvegarder la sécurité publique.

Mais est-ce lui qui crée les privilèges et les bénéfices issus de cette exploitation ? Non certes, il ne fait que leur donner une

(i) P. 185.