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l’on put apercevoir quelques cheveux blancs parmi les boucles châtaines de sa lourde chevelure embroussaillée.

Ses vêtements râpés ne pouvaient plus supporter les réparations. Sa redingote graisseuse, taillée à l’ancienne mode, avec manches étroites et large collet, était déchirée sur toutes les coutures. Et son pantalon de drap gris, montrant la trame, menaçait de se séparer de lui en dépit des larges pièces cousues aux genoux.

Ce costume lamentable préoccupe fort peu, d’ailleurs, notre héros. Depuis son lever une autre pensée l’obsède : se procurer le petit verre dont il éprouve si grand besoin par ce lendemain d’ivresse. Son cœur se contracte comme sous la morsure d’une sangsue lui tirant le sang goutte à goutte. Un insupportable malaise envahit ce corps d’athlète, pénètre ses os et ses muscles. Cette idée fixe ne quitte plus son cerveau. Un brouillard d’ennui voile sa large figure carrée, barbe massive, sourcils épais, nez aplati. Seuls ses petits yeux gris pétillent de convoitise.

— Le diable ne m’enverra personne ! marmonne-t-il en regardant la porte qui s’ouvre et se referme sans cesse ! Quel sale temps !

Pour éviter la neige beaucoup de gens entrent au cabaret de Plevna. Mais ce ne sont qu’inconnus : cochers, vieux soldats, paysans du marché, ouvriers. Tous, en entrant, font sur le parquet de larges flaques de neige fondue. Secouant leurs bonnets couverts de flocons, ils s’avancent en jurant vers le comptoir.

Le cabaretier suffit à peine à ces nombreux clients. Il remplit minutieusement les petits verres et ne pose plus l’énorme bonbonne qu’il tient à deux mains. Le nectar délicieux diminue à vue d’œil par suite de ces nombreuses tournées. Des « heins » de satisfaction sortent des robustes poitrines et emplissent la salle ; les gros sous pleuvent sur le comptoir.

Et Vanka Caïn trône à son poste tel un chef d’orchestre à son pupitre.

— Quel froid ! s’exclame un cocher, gaillard solide, tandis qu’il s’approche du comptoir et cherche sa bourse sous le pan de sa houppelande. Puis, les yeux fermés, il engloutit son petit verre, d’un trait.

Plein d’envie, Bachka fait des efforts sur lui-même et se