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détourne avec dépit de cette scène émouvante. Ce qui ne l’empêche pas de deviner le baume de l’alcool en la poitrine de ces heureux.

— Dire qu’il ne pensera pas à m’offrir un petit verre, continue-t-il à songer amèrement, — rien qu’un petit verre pour me remettre !

Et le cœur de Bachka se gonfle de haine contre l’hôte, oubliant l’ivresse de la veille.

— Ah ! quelle face d’écumoire !… ce ladre de Caïn !.. Il sait pourtant que je le lui payerai plus tard… Pouah ! Satan, va !… Et pour comble d’ennui, pas un ami ce matin !… que font-ils donc ?… Ni Ckocklik, ni Kornilytch, ni Trouba… personne !…

Placé au centre de la ville, en une impasse donnant sur le marché au blé, Plevna est le cabaret privilégié de Propadinsk. Il se compose, outre le vestibule, d’une grande salle mal éclairée avec, au fond, le comptoir du patron. Derrière, une petite porte accède à deux autres pièces plus petites et réservées aux habitués. Ceux-ci s’arrêtent rarement au comptoir et ne font que traverser la grande salle pour se rendre là où ils sont chez eux. Dans le cabaret proprement dit se pressent les clients de passage qui, après avoir bu, vont prendre place sur le large banc malpropre, le long du mur, où ils mangent à leur aise le morceau de pain qu’ils apportent.

En ce moment, seule la grande salle est occupée. Parmi le brouhaha et le continuel va et vient, l’oreille de Bachka perçoit dans le vestibule un léger bruit… Ces pas pressés lui sont bien connus… C’est Kornilytch qui arrive enfin.

En effet, la porte donne passage à son ami vêtu d’un veston et coiffé d’une légère casquette. De tournure alerte, le nouveau venu salue le cabaretier, puis disparait dans la pièce voisine, suivi de Bachka.

— À peine en ai-je réchappé, raconte Kornilytch clignant ses yeux de côté. Et je n’ai fait que deux parties. À la deuxième, j’ai légèrement poussé la bille avec ma manche… j’ai été pris et proprement arrangé… Ah ! ces coups de poing dans le dos !… je ne te dis que ça… Et toi ?… Bon, bon… je devine… Fichtre ! ça ne va pas !…

Kornilytch enfonça ses deux mains dans les poches de son pantalon et se mit à marcher à petits pas comme les garçons